Avec la même patience que lorsqu’elle fabrique des meubles en fibres végétales, Mirna Rivera étudie les étapes à suivre pour transformer son activité familiale, lancée il y a 25 ans, en entreprise privée, un modèle enfin autorisé à Cuba depuis lundi.
« On n’a pas assez d’informations pour se lancer », regrette Mirna, 49 ans, qui hésite encore.
Après des années d’attente qui faisaient perdre espoir à certains, le gouvernement a approuvé l’existence des petites et moyennes entreprises, qui peuvent être publiques comme privées, et relancé les coopératives non agricoles, en pause depuis quatre ans.
Lundi, jour d’entrée en vigueur de la loi, 75 dossiers ont été déposés. « Un très bon départ », s’est félicité le ministre de l’Economie, Alejandro Gil.
Armé d’un couteau, le neveu de Mirna, Angel La Rosa, 38 ans, enlève l’écorce d’une branche de guaniquiqui, un arbre dont la fibre servira de base aux fauteuils, tables, paniers et sommiers que fabrique sa famille.
Elsa, sa soeur, confectionne un panier. « On fait ça en famille, on est plus ou moins 20-25 personnes à travailler et chacun le fait de manière individuelle, sur commande », explique Mirna à l’AFP.
En effet, faute d’entreprises privées à Cuba, chacun opère avec une licence de travailleur indépendant, quasiment l’unique façon de gagner sa vie en dehors de l’Etat.
Une employée de Mirna Rivera fabrique un panier en fibre végétale à La Havane, le 20 septembre 2021 (AFP – ADALBERTO ROQUE)
Les membres de ce négoce familial vivent dans quatre maisons contiguës, sur une avenue de La Havane où les passants découvrent avec admiration leurs meubles, inspirés d’une technique vietnamienne.
– Crise économique –
A Cuba, les entreprises privées ont disparu en 1968, quand Fidel Castro a commencé à appliquer le modèle étatique soviétique et les a nationalisées dans le cadre de son « offensive révolutionnaire ».
Mais il a dû lui-même faire marche arrière à la disparition du bloc communiste et admettre à partir de 1990 le travail privé, les investissements étrangers et l’ouverture au tourisme international.
Aujourd’hui, si l’économie cubaine reste étatique à 85%, il existe plus de 600.000 travailleurs privés, principalement dans les services (restaurants, taxis, réparations…): ce sont eux qui devraient donner l’impulsion aux nouvelles entreprises privées.
Mais la pandémie de Covid-19 a plongé Cuba dans sa pire crise économique depuis 1993, avec « un impact dévastateur sur le secteur privé », plus de 250.000 travailleurs privés ayant suspendu leur activité en l’absence de touristes, indique à l’AFP Oniel Diaz, directeur de la société de consultants Auge.
Mirna Rivera, à la tête d’une entreprise familiale enfin autorisée à Cuba, vend des meubles en fibre végétale à La Havane, le 20 septembre 2021 (AFP – ADALBERTO ROQUE)
Mirna peut en témoigner: « La pandémie nous a vraiment affectés. Le problème c’est que maintenant on manque de matières premières », les camions la transportant ne pouvant plus se déplacer d’une province à une autre.
Les plus jeunes employés vont donc, seuls, à la campagne « pour voir s’ils peuvent en ramener un peu, un sac ou deux, et on survit comme ça ».
Selon Oniel Diaz, ces difficultés ont toutefois contribué à « reconfigurer le secteur privé », qui s’est réorienté vers la production et les technologies, des activités jusque-là « cachées sous diverses licences, totalement inadaptées », mais qui ont désormais une nouvelle opportunité: se transformer en entreprises.
– « Pas de retour en arrière » –
Abel Bajuelos vend des services numériques d’impressions 3D, à La Havane, le 20 septembre 2021 (AFP – ADALBERTO ROQUE)
C’est le cas d’Abel Bajuelos, 42 ans, un percussionniste qui s’est réinventé dans une petite pièce de quatre mètres carrés au fond de sa maison. Désormais « je vends des services de fabrication numérique », explique-t-il, autrement dit « des impressions 3D ».
Il assure pouvoir fabriquer « tout ce qui peut tenir dans la machine », l’imprimante 3D, comme des pièces détachées mais aussi des reproductions fidèles d’os humains endommagés, pour permettre aux médecins d’étudier diverses solutions avant l’opération.
Travailleur indépendant, Abel a déjà déposé sa demande de création d’une entreprise de six personnes, baptisée « Addimensional ».
Les autorités promettent de répondre sous 25 jours, mais beaucoup de candidats sont sceptiques, compte tenu de la lenteur habituelle de la bureaucratie cubaine. L’absence de mécanismes de crédits pour ces projets inquiète aussi.
Abel Bajuelos montre une reproduction d’une prothèse de hanche fabriquée par une imprimante 3D à La Havane, le 20 septembre 2021 (AFP – ADALBERTO ROQUE)
« Ce qui est important, c’est qu’il n’y aura pas de retour en arrière, donc ce qu’il faut faire maintenant, c’est travailler », assure Abel. Il y a quelques semaines, le président Miguel Diaz-Canel est venu lui rendre visite pour l’encourager.
Les technologies font justement partie des secteurs prioritaires fixés par le gouvernement pour ces entreprises, ainsi que la production d’aliments, l’exportation de biens et services, les projets de développement local et le recyclage.
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