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Des militantes féministes manifestent devant le siège de la Nouvelle Chaîne ivoirienne (NCI), à Abidjan, le 1er septembre 2021. SIA KAMBOU / AFP
Début septembre, Lucie* s’est rendue au commissariat de son quartier à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, pour porter plainte contre son mari violent. Après des années d’hésitation, la jeune femme a surmonté sa honte et ses peurs pour aller raconter son calvaire aux policiers. Dans la foulée, l’homme a été interpellé.
Lucie explique avoir puisé son courage dans les témoignages d’autres femmes, qui se sont multipliés ces derniers jours. Elle s’est aussi sentie portée par la mobilisation d’une nouvelle génération de militantes, celles de La Ligue ivoirienne des droits des femmes, plus que jamais décidées à bousculer l’opinion publique. « Depuis l’affaire à la télévision, elles sont partout. »
« L’affaire » dont parle Lucie remonte au 30 août. Sur le plateau d’une émission populaire de la Nouvelle Chaîne ivoirienne (NCI), un invité, présenté comme un « ancien violeur », s’est vu encourager par le présentateur, Yves de Mbella, à simuler un viol sur un mannequin en plastique. L’obscénité de la séquence a fait la une des journaux ivoiriens et le tour du monde. La justice s’est saisie du dossier et les deux hommes ont été arrêtés, déférés au tribunal et condamnés.
Pétition, sit-in, réseaux sociaux
Dans cet enchaînement ayant suivi le scandale, les militantes des droits des femmes ont joué les premiers rôles. Particulièrement celles de la Ligue, une association fondée en 2020 par dix jeunes Ivoiriennes, aux avant-postes de tous les combats féministes des derniers mois. Ce sont elles qui ont initié, dans la foulée de l’émission controversée, une pétition puis une plainte contre le présentateur de l’émission. Elles, encore, qui ont organisé quelques jours plus tard un sit-in devant la chaîne de télévision, réclamant de la sanctionner au même titre que l’animateur.
Leur slogan, « Pour qu’elles ne soient jamais seules », est diffusé partout où elles peuvent : sur les marchés, dans les lycées, lors de cours d’autodéfense organisés dans les quartiers. Et plus encore sur la Toile, où elles sont très actives. « Le web c’est un terrain, tout autant que la rue », explique Bintou Mariam Traoré, membre de la Ligue et à l’origine du hashtag #VraieFemmeAfricaine, qui a inondé les réseaux sociaux début 2020 pour dénoncer et tourner en dérision les injonctions faites aux femmes africaines.
« Il est plus simple pour les femmes de briser le silence sur Internet que dans leur famille. On leur montre que là aussi, on se tient à leurs côtés », explique celle qui n’hésite pas à porter le fer contre les auteurs de propos sexistes en ligne. Les membres de la Ligue se servent volontiers de l’effet « caisse de résonance » des réseaux sociaux pour médiatiser les affaires. Comme en 2020, quand un religieux catholique a été accusé d’abus sexuels sur des fidèles. Mais aussi plus récemment, en mars, lorsqu’une ancienne star du football ivoirien a été interpellée pour viol. Leur objectif est de voir les agresseurs traduits en justice.
Des émules au Bénin, au Mali et au Tchad
« Des associations qui luttent contre les violences faites aux femmes, ce n’est pas nouveau, ça s’est beaucoup développé lors de la décennie de crise, de 2002 à 2010 », rappelle Annick Gnazalé, sociologue et chercheuse sur les questions de viol à l’université Alassane-Ouattara de Bouaké. Mais la vraie nouveauté, leur principale force, explique-t-elle, « c’est leur maîtrise des réseaux sociaux et leur compréhension du rôle que ceux-ci peuvent avoir dans leur combat ». Au point de faire des émules dans la sous-région : ces derniers mois, des « Ligues » ont vu le jour au Bénin, au Mali et au Tchad.
Malgré ces avancées, les membres de l’association regrettent que trop souvent, la justice ne se saisisse que des affaires « qui font du bruit » et se désintéresse des autres, pourtant très nombreuses. Depuis le début du mois, Bintou Mariam Traoré indique recevoir au quotidien jusqu’à cinq témoignages de femmes victimes de violences sur la messagerie de la Ligue. A celles-ci, les militantes proposent un soutien juridique, psychologique et financier grâce à un réseau d’avocats et de psychologues.
Sans subvention du ministère ni mécènes réguliers, ces bénévoles financent bien souvent sur fonds propres les aides qu’elles fournissent aux victimes – notamment aux mères célibataires qui se battent pour la garde d’un enfant ou l’obtention d’une pension.
Leurs méthodes ne plaisent pas à tout le monde. « On n’est pas invitées partout », plaisante leur secrétaire générale, Désirée Dénéo. Régulièrement menacées par téléphone ou sur Internet, elles sont accusées d’importer un modus operandi militant qui ne serait pas ivoirien. Mais elles-mêmes revendiquent ce féminisme de combat. « A un moment, il faut arrêter d’organiser des ateliers de sensibilisation, des séminaires sur le renforcement de capacités ou des symposiums sur la parité, ironise Désirée Dénéo. On s’est trop concentrés sur l’institutionnel, mais est-ce que ça apporte vraiment des solutions aux femmes qui, tous les jours, sont victimes de violences ? », fait-elle mine de s’interroger.
Un numéro vert a été mis en place
Persuadées que leur combat est le bon, elles en veulent pour preuve la parole qui se libère. Le scandale provoqué par le talk-show télévisé y a largement contribué. Depuis ce triste épisode, les récits de femmes victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques affluent de toute la Côte d’Ivoire. « Même si nous étions habitués au pire, un pas a été franchi avec cette émission », explique la juriste et militante féministe Sylvia Apata, pour qui la très forte mobilisation intervenue à la suite du scandale a favorisé « la prise de conscience par la société de l’ampleur et de la gravité du problème ».
Les autorités ivoiriennes semblent aujourd’hui mieux préparées à y faire face qu’elles ne l’étaient en 2020, quand l’instauration d’un couvre-feu pour lutter contre le Covid-19 avait entraîné une augmentation des violences domestiques à Abidjan. Un an et demi plus tard, « des efforts ont été réalisés, reconnaît Sylvia Apata, notamment dans la prise en charge des victimes ». Le personnel des commissariats a été formé à recueillir les témoignages et un numéro vert a été mis en place en novembre 2020.
Les statistiques manquent pour documenter les violences faites aux femmes en Côte d’Ivoire. Mais une enquête commandée par le ministère de la femme en 2018 recensait 3 184 cas pour cette année-là, dont 68 % de violences domestiques. Un chiffre que beaucoup estiment très en deçà de la réalité.
* Le prénom a été changé.
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