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ReportageBanques à court de liquidités, familles contraintes de vendre leurs biens, système de santé au bord de l’implosion… En Afghanistan, le nouveau gouvernement taliban est confronté à une crise économique et humanitaire.
Au cœur de Kaboul, mardi 14 septembre à la mi-journée, dans le quartier de Shahr-e Naw, les gardes de la principale succursale de la New Kabul Bank tentent, en vain, de déloger du trottoir les centaines d’hommes venus retirer de l’argent sur leurs comptes. « La banque n’ouvrira pas aujourd’hui, partez ! », hurle l’un d’eux à la foule, dont une partie reste assise, de dépit et de colère. La plupart ont dormi sur place. Voilà trois jours qu’ils attendent que la banque centrale livre des fonds à cette banque publique, l’une des rares à encore donner accès aux comptes bancaires, dans des limites très contraintes. Mais les caisses de l’Etat afghan sont désespérément vides.
Des hommes attendent depuis le matin, certains depuis plusieurs jours, devant la New Kabul Bank, le 14 septembre 2021, à Kaboul. WILLIAM DANIELS POUR « LE MONDE »
L’arrivée des talibans au pouvoir, le 15 août, a fait fuir les capitaux et les fonds de la banque centrale déposés à l’étranger ont été gelés, notamment aux Etats-Unis. Certaines banques privées qui avaient rouvert ont vite refermé, faute de liquidités. La conférence des donateurs, organisée par l’ONU, lundi, à Genève, a promis 1 milliard de dollars (840 millions d’euros) d’aide, mais elle reste conditionnée à des considérations politiques, notamment en matière de respect des droits humains. Un premier défi majeur se dresse aujourd’hui devant le régime taliban : juguler une grave crise économique et humanitaire qui risque d’entacher une victoire acquise après vingt ans de combats.
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La population commence, en effet, à gronder. La New Kabul Bank héberge surtout les comptes des fonctionnaires et des forces armées. Mais on y trouve aussi des commerçants. « On a le droit à 10 000 afghanis [92 euros] en cash ou 20 000 afghanis en chèque, j’ai de l’argent sur mon compte et j’ai une famille de dix personnes à faire vivre », explique Zabi, qui gère une épicerie à Kaboul. Shams Haq, qui est âgé de 28 ans mais en paraît deux fois plus, est, lui, venu de la lointaine province du Badakhshan (nord). « Je suis venu il y a cinq jours, avec 200 afghanis. Juste de quoi acheter du pain. »
La New Kabul Bank ne délivre plus de billets depuis trois jours. Malgré les annonces des gardes, de nombreux hommes refusent de quitter les lieux, le 14 septembre 2021, à Kaboul. WILLIAM DANIELS POUR « LE MONDE »
Habibullah est fonctionnaire. Son gilet cintré bien posé sur son shalwar kameez (longue chemise sur un pantalon bouffant), il affiche la mine de l’homme qui a des droits. Travaillant pour l’administration provinciale du Nouristan (nord), il doit pourtant, depuis un mois, emprunter de l’argent à des proches et dans les épiceries de sa ville, à Parun. Mais ces dernières « ne veulent plus [lui] faire crédit ». Venant, quant à lui, de Jalalabad, capitale du Nangarhar (nord-est), Ala Gul a le verbe haut et dénonce l’agressivité des gardes de la banque et des talibans qui veillent en retrait. « Ils nous battent. Je n’ai plus d’argent depuis le 15 août, quand Kaboul est tombé. » L’un des gardes, Saifullah, justifie ces moyens expéditifs : « Les gens ont commencé à attaquer la banque. »
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L’article « On n’a plus à manger, on va finir par mourir de faim » : dans les rues de Kaboul, le désespoir et la misère est apparu en premier sur zimo news.