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Législatives au Maroc : la normalisation avec Israël a été “un coup mortel” porté au PJD

Avec seulement 12 sièges obtenus aux législatives organisées cette semaine contre 125 lors du scrutin précédent, le Parti justice et développement (PJD) connaît une défaite historique. Comment expliquer un revers aussi spectaculaire pour cette formation islamiste modérée ? L’analyse de Mounia Bennani-Chraïbi, professeure de science politique à l’université de Lausanne en Suisse.

Une page se tourne dans la vie politique marocaine. Majoritaire depuis dix ans au parlement et à la tête du gouvernement sortant, le Parti justice et développement (PJD) a connu une véritable claque électorale, mercredi 8 septembre, lors des législatives au Maroc.

Le parti islamiste s’est effondré, passant de 125 sièges dans l’assemblée sortante à seulement 12, selon des résultats provisoires annoncés jeudi par le ministère de l’Intérieur.

Il a été très largement devancé par deux partis libéraux, considérés comme proches du roi Mohammed VI : le Rassemblement national des indépendants (RNI) de l’homme d’affaires Aziz Akhannouch arrivé en tête avec 97 sièges, devant le Parti Authenticité et Modernité (PAM, 82), sur un total de 395.

Plongé dans une crise majeure, le parti dirigé par le Premier ministre Saad Dine El Othmani, a annoncé la démission de l’ensemble de son secrétariat général.

Selon Mounia Bennani-Chraïbi, professeure de science politique à l’université de Lausanne et auteure de « Partis politiques et protestations au Maroc (1934-2020) » (Presses universitaires de Rennes), le PJD paye ses dissensions internes et les concessions accordées à l’institution royale ces cinq dernières années. Explications. 

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Mounia Bennani-Chraïbi : Plusieurs indices montraient que le PJD n’allait pas faire un bon score, mais il n’y a pas eu de sondage pré-électoral permettant d’anticiper l’étendue de ce recul. En réalité, la plupart des observateurs de la vie politique étaient bien loin d’imaginer une telle débâcle. Dans une certaine mesure, on peut faire un parallèle avec le destin de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), premier parti en nombre de sièges aux législatives de 1997 et en 2002, qui cinq ans plus tard a connu une énorme déconvenue en arrivant en cinquième position. 

Le système politique au Maroc est une machine à broyer les partis militants, ceux qui ont une base populaire et une idéologie. Ces partis espéraient changer le régime de l’intérieur en profitant des marges de manœuvre disponibles, mais dans les faits la gouvernance a été dépolitisée : les grandes orientations stratégiques émanent du Palais, de ses technocrates, de cabinets de conseil internationaux ou de commissions qu’il mandate. De plus, les coalitions gouvernementales sont hétéroclites, le poids de l’administration est important et l’adoubement royal indispensable. Le PJD a été un fusible pour le palais comme l’USFP l’a été à son époque. Tous deux ont joué le rôle de bouc-émissaire plus ou moins consentant. 

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En 2016, il y a eu un «  blocage », alors que le PJD avait fait un excellent score. De fortes pressions ont été exercées au travers du RNI pour peser sur la formation d’une coalition gouvernementale. En définitive, le charismatique Abdelilah Benkirane, chef de gouvernement sortant et secrétaire général du PJD, a été évincé et les gros ministères ont échappé aux islamistes au nom de la « compétence technocratique  ». C’est évidemment le genre d’événement qui divise un parti. Il y a eu une opposition entre ceux qui voulaient claquer la porte et ceux qui souhaitaient persévérer en acceptant les conditions du Palais.

La normalisation des relations diplomatiques avec Israël a-t-elle eu une influence sur ce résultat 

Le PJD a dû avaler énormément de couleuvres ces dernières années. En effet, la plus importante a été la normalisation des relations diplomatiques avec Israël. Il faut savoir que le soutien à la cause palestinienne est au cœur de l’identité de plusieurs courants politiques, abstraction faite de leurs divisions idéologiques. C’est l’un des principaux vecteurs de la socialisation politique des générations militantes nationalistes, tiers-mondistes, de gauche, et islamistes. 

La normalisation avec Israël a contribué à démobiliser de nombreux militants, sympathisants et associations qui gravitent autour du PJD. C’était un coup mortel. A posteriori, on peut constater que le franchissement d’une telle ligne rouge s’est avéré inacceptable pour le cœur de l’électorat du PJD.

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Il y a aussi un autre électorat, plus large, qui avait voté PJD en 2011 ou en 2016, sans avoir aucune sympathie pour l’islam politique, mais qui aspirait au changement et qui a placé ses espérances dans un personnel politique perçu comme intègre. Or le PJD a dû assumer des réformes ultra-libérales très impopulaires. Par exemple, le démantèlement du système de subventions pour des produits de première nécessité. Le gouvernement a également porté atteinte à d’importants acquis en matière de retraite, remplacé le recrutement fonctionnarisé par un recrutement contractualisé. Le PJD a essayé de mettre en avant le rôle qu’il a joué dans la réduction du déficit budgétaire, mais ce n’est évidemment pas la priorité de la population.

Aziz Akhannouch, dont le parti, le RNI, est le grand vainqueur de ces législatives, devrait devenir le prochain chef du gouvernement. Qui est-il et quelle politique peut-il mener ces prochaines années ?

C’est un grand homme d’affaires, l’une des premières fortunes du Maroc, qui s’est lancé tardivement dans la politique et qui passe pour être un ami du roi. Il traîne aussi quelques casseroles. À la suite de la « libéralisation » des prix des hydrocarbures, une commission parlementaire a établi qu’une entente illicite sur les prix aurait permis au cartel des hydrocarbures de réaliser des surprofits de près de 2 milliards de dollars dont Akhennouch aurait été le principal bénéficiaire. Mais pour le moment, cette affaire a été mise sous le tapis.

Pour le reste, comme je l’ai indiqué, les grandes orientations sont décidées par le Palais au travers du rapport de la dernière commission qu’il a mandatée. Par ailleurs, depuis son intronisation, Mohammed VI se présente comme le roi des pauvres. La lutte contre la pauvreté, contre le chômage, l’amélioration des secteurs de la santé et de l’enseignement sont érigées en impératifs. Le régime semble conscient d’être assis sur une poudrière et s’efforce péniblement de concilier une politique ultra-libérale avec des mesures visant à prévenir les soubresauts populaires. 

Les promesses et les proclamations, y compris royales, ont eu jusqu’ici beaucoup de mal à se concrétiser, car l’économie au Maroc reste structurellement une économie rentière. Il existe un chevauchement entre les positions d’accumulation des richesses et les positions de pouvoir dont Aziz Akhannouch est l’un des symboles.

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