Une nouvelle loi texane, entrée en vigueur mercredi 1er septembre aux Etats-Unis, permet à des citoyens de dénoncer, contre une récompense, ceux qui aident les femmes à avorter. « Cela semble ridicule », c’est loi est « presque anti-américaine », s’est indigné le président des Etats-Unis, Joe Biden, vendredi 3 septembre, y voyant un encouragement à la délation. « La chose la plus pernicieuse dans cette loi au Texas est que cela crée une sorte de système de justiciers autoproclamés, avec des gens qui perçoivent des récompenses », a-t-il déploré.
La loi en question se distingue d’autres initiatives contre l’avortement aux Etats-Unis, car elle repose « exclusivement » sur les citoyens. Le texte encourage ainsi la population à porter plainte au civil contre ceux qui aideraient des femmes à avorter après six semaines de grossesse – à ce stade, beaucoup de femmes ignorent encore qu’elles sont enceintes. Cet entourage peut inclure le docteur, mais aussi potentiellement le chauffeur du taxi qui a amené la patiente à la clinique ou des proches qui l’ont aidée à financer la procédure.
En cas de condamnation, le citoyen qui a dénoncé, devenu plaignant, percevra au moins 10 000 dollars de « dédommagement » (environ 8 500 euros).
Saisie en urgence par des associations de planning familial, la Cour suprême a refusé de bloquer cette loi, portant le coup le plus sévère au droit à l’avortement en près d’un demi-siècle aux Etats-Unis. Parmi ceux qui auraient voulu s’y opposer, la magistrate progressiste Sonia Sotomayor a dénoncé une décision « stupéfiante », prise par cinq juges sur neuf : « Dans les faits, [le Texas] a mandaté les citoyens de cet Etat pour devenir des chasseurs de primes. »
Déjà, des associations appellent à dénoncer anonymement ceux qui « aident ou soutiennent » des femmes cherchant à avorter et des responsables conservateurs d’autres Etats américains ont dit vouloir suivre l’exemple texan.
Tradition des « bounty hunters »
Si la tradition des chasseurs de récompenses remonte au Moyen Age en Europe, cette pratique est désormais largement illégale à travers le monde. Elle rappelle les temps anciens des célèbres posters « Wanted » et des cow-boys justiciers du Far West américain. Une activité controversée qu’on ne retrouve ailleurs dans le monde qu’aux Philippines.
Aux Etats-Unis, ils existent bien. Ces bounty hunters (« chasseurs de primes ») sont chargés de rechercher les fugitifs et sont, pour la plupart, des accusés libérés sous caution dans l’attente de leurs comparutions devant un juge qui ont emprunté cette somme auprès d’entreprises spécialisées. Gilet pare-balles, menottes… Certains peuvent être lourdement armés et même autorisés à entrer dans des résidences privées. Si l’accusé décide de fuir, c’est cette entreprise qui mandate des chasseurs de primes pour le retrouver et récupérer sa caution.
« Aujourd’hui, beaucoup sont en fait de véritables détectives privés, formés dans des écoles accréditées, selon Tristan Cabello, historien et professeur à l’université Johns-Hopkins. Ils sont un rouage essentiel du système judiciaire américain, mais les régulations pour cette profession sont différentes selon les Etats. »
« Un discours qui parle aux citoyens américains les plus conservateurs »
S’il est difficile d’évaluer exactement le nombre de ces chasseurs de primes, une organisation du secteur, la Professional Bail Agents of the United States, l’estime à 15 000. La National Association of Fugitive Recovery Agents avance, elle, que 30 000 fugitifs sont appréhendés chaque année grâce à ces méthodes.
Cette profession est devenue célèbre avec les westerns des années 1950. « C’est un discours qui parle aux citoyens américains les plus conservateurs », remarque M. Cabello. Mais pour d’autres d’Américains, la loi texane a réveillé un « traumatisme », souligne Michele Goodwin, professeure de droit à l’université de Californie : le souvenir des récompenses offertes à ceux qui capturaient les Noirs tentant d’échapper à l’esclavage.
« Aux Etats-Unis, il existe très peu de jurisprudence qui donne le pouvoir à des citoyens de saper la liberté » constitutionnelle d’autres citoyens comme le fait la loi du Texas, selon la professeure. « La seule fois où nous l’avons vu auparavant, c’est lorsque le Congrès a (…) mis en œuvre ces lois qui permettaient de traquer et de chasser les personnes noires cherchant leur liberté. »
Pour Ken White, un ancien procureur fédéral, la « loi est calculée pour submerger quiconque est perçu par les conservateurs comme lié à l’avortement, avec des poursuites coûteuses, accablantes ». Et même si ce « déluge de petits procès sans fondement » n’aboutit pas finalement, ce parcours juridique sera à lui seul « destructeur » pour les personnes visées.
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