France World

« Migrant » : parcours sémantique d’un mot sensible

Histoire d’une notion. Les images dramatiques de l’aéroport de Kaboul, où des Afghans se pressaient par milliers ces jours derniers dans l’espoir de fuir les talibans, si elles ont ému l’opinion dans les pays occidentaux, ont aussi relancé le débat sur la question des migrations. En France, une presse quasi unanime, comme la classe politique dans sa majorité, évoque le devoir d’accorder l’asile aux « réfugiés afghans » ; tandis qu’une partie de la droite et l’extrême droite mettent en garde devant un « flux migratoire » qu’elles jugent préoccupant. Réfugiés, migrants, des synonymes ? Pas vraiment. Le choix des mots est loin de se faire au hasard.

Le mot migrant était davantage utilisé lors de ce qu’on a coutume d’appeler la crise migratoire, qui débute en 2015. Mais le 20 août 2015, Barry Malone, journaliste pour le site anglophone du média Al Jazeera, annonçait que la chaîne qatarie n’utiliserait plus, à l’avenir, ce mot pour désigner les personnes qui traversent la Méditerranée pour atteindre l’Europe, venues en particulier de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan et d’Afrique de l’Est. Le terme « n’est plus adapté à la description de l’horreur qui se déroule en Méditerranée », affirmait le journaliste, car il est devenu « un outil de déshumanisation ». La chaîne lui préférait « réfugié », qui suggérerait plus justement la situation de ces personnes en quête de refuge, qui fuient la guerre, la famine et la pauvreté. Mais que désigne vraiment cette notion de « migrant » ?

Un terme polysémique

C’est la petite dernière de la famille des mots en « migr », qui plongent leurs racines dans leurs ancêtres latins (migrare, migratio). Mais, alors que le terme « migration » est utilisé dès le XVIe siècle en français, celui de « migrant » est relativement récent : on en trouve les premières traces écrites à partir des années 1950-1960. La notion est « intimement liée aux conflits du XXe siècle, qui ont déclenché d’importants mouvements de populations », explique Laura Calabrese, enseignante à l’Université libre de Bruxelles et coauteure du livre « Penser les mots, dire la migration » (Academia, 2018). Les occurrences du terme connaissent un nouvel essor dans les années 2000, et, à partir de 2015, avec la crise migratoire, elles explosent. Si son usage a alors pris une ampleur considérable, décrypte l’enseignante, c’est sans doute parce qu’il fallait un mot neuf, ou en tout cas moins utilisé, pour traduire un phénomène qu’on n’avait plus l’habitude de voir en Europe depuis des décennies, celui des déplacements massifs de populations. C’est aussi parce que, ajoute-t-elle, le participe présent exprime mieux « le processus, le mouvement continu, celui de gens en train de migrer d’un lieu à l’autre, qui, parfois, ont du mal à se fixer parce qu’ils se font refouler aux portes des pays occidentaux ».

Il vous reste 46.16% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source

L’article « Migrant » : parcours sémantique d’un mot sensible est apparu en premier sur zimo news.