Pour semer la discorde dans une réunion entre intellectuels arabes, il y a un truc infaillible. Suggérer que le Golfe est le nouveau centre de gravité de leur région. Affirmer que le pendule du pouvoir a basculé de l’Egypte, de l’Algérie et de l’Irak, vers l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis (EAU) et le Qatar. Que Dubaï, Abou Dhabi et Doha sont les nouveaux pôles de la modernité arabe, l’équivalent de ce que furent Le Caire et Beyrouth entre les années 1950 et 1970.
Cette thèse provocatrice, l’universitaire émirati Abdulkhaleq Abdulla la soutient dans un livre paru en 2018 et réédité l’année suivante : Le Moment du Golfe (éditions Al-Farabi). Il y affirme que le rayonnement des monarchies de la péninsule Arabique va désormais bien au-delà des marchés pétroliers, le secteur où elles ont été longtemps cantonnées, et même de la scène politico-diplomatique internationale.
Selon l’auteur, les six Etats membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG : Arabie, Emirats, Qatar, Koweït, Oman et Bahreïn), non contents de représenter 60 % du PIB arabe, seraient devenus les plaques tournantes de la production et de la diffusion du savoir au Maghreb et au Proche-Orient. Le monde arabe serait en voie accélérée de « golfisation ».
« Illusion »
A l’appui de sa démonstration, l’auteur mentionne divers éléments : les classements internationaux qui placent les universités saoudiennes et émiraties dans le trio de tête des meilleurs établissements d’enseignement supérieur du monde arabe ; un rapport de l’Unesco désignant l’Arabie et les Emirats comme les pays où le plus grand nombre de brevets scientifiques sont déposés en une année dans la région ; le rôle prépondérant d’Al-Jazira et d’Al-Arabiya, les chaînes qatarie et saoudienne, dans le paysage médiatique arabe ; l’importance des salons du livre de Riyad et de Chardja (EAU), les foires où le plus grand nombre d’ouvrages sont vendus dans le monde arabe, etc.
Comme prévu, Le Moment du Golfe n’a pas manqué de générer une avalanche de commentaires outragés et dédaigneux. Dans les cercles de réflexion où il a été invité, Abdulkhaleq Abdulla s’est heurté à un tir de barrage de nostalgiques du vieil ordre arabe, qui persistent à voir dans les habitants du Golfe des Bédouins ignorants, aux poches gonflées de pétrodollars.
Dans un article publié dans le quotidien koweïtien Al-Qabas, l’essayiste Ahmed Al-Sarraf a qualifié d’« illusion » l’argumentaire développé dans Le Moment du Golfe. Selon lui, la stabilisation économique des vieux phares du monde arabe, comme l’Egypte, devrait leur permettre de retrouver leur prééminence d’antan, d’autant que la montée en puissance du Golfe repose sur une ressource bientôt épuisée, l’or noir.
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