Les Allemands connaissent depuis longtemps les drogueries Rossmann, où l’on trouve aussi bien du shampoing et de la lessive que du papier-toilette ou des croquettes pour chien. Ils ignoraient que le fondateur de cette enseigne florissante (56 000 employés, 10,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020) était également doué pour vendre ses propres livres. Dès sa sortie en novembre 2020, Der neunte Arm des Oktopus (« Le neuvième bras du poulpe », Bastei Lübbe, non traduit), de Dirk Rossmann, a fait un carton : n° 1 sur la liste des best-sellers du Spiegel pendant plus de deux mois, il a été vendu à plus de 300 000 exemplaires au total.
Comment expliquer un tel succès ? D’abord le sujet, bien sûr. Long de 400 pages, ce thriller aux accents apocalyptiques résonne avec l’une des grandes angoisses de notre époque : le dérèglement climatique. Pour cela, l’auteur – ou plutôt les auteurs, Dirk Rossmann n’ayant pas caché avoir été aidé par d’autres dans le processus d’écriture – s’est plu à imaginer un Vladimir Poutine cherchant à convaincre Xi Jinping et Kamala Harris, devenue entre-temps présidente des Etats-Unis, de fonder un « G3 » pour sauver la planète. « Un conte de fées dictatorial ultra-écolo », résume assez justement le Spiegel, évoquant « un livre qui colle bien à une époque où beaucoup de gens veulent des personnalités à poigne pour faire face aux pandémies, aux guerres et aux problèmes environnementaux ».
Force de frappe marketing
Comme chacun sait, cependant, une bonne histoire ne suffit pas à garantir un succès éditorial. Encore faut-il savoir la vendre. C’est ce qu’a fait Dirk Rossmann, en distillant ses confidences sur la genèse du livre. Agé de 74 ans au moment de sa sortie, le milliardaire a ainsi raconté que l’idée avait pris forme, trois ans plus tôt, en discutant de l’avenir du monde pendant une partie de skat avec son ami l’ex-chancelier social-démocrate Gerhard Schröder (1998-2005). Une façon de dire que l’ouvrage ne s’adresse pas seulement aux amateurs de science-fiction mais qu’il se présente aussi comme « un essai politique sous forme de pamphlet et de thriller, le tout emballé dans une histoire haletante », selon ses propres mots.
Paru au début de la « deuxième vague » de l’épidémie de Covid-19, au moment où plusieurs Länder allemands décidaient de fermer les librairies, classées « commerces non essentiels », Der neunte Arm des Oktopus aurait pu souffrir de ce contexte peu propice au secteur de l’édition. C’était compter sans la force de frappe marketing de sa maison d’édition, Bastei Lübbe, dont le catalogue comprend des « locomotives » à best-sellers comme Dan Brown et Ken Follett, et qui a accompagné la sortie du livre d’une campagne publicitaire massive. Sans oublier un dernier détail : le fait que pendant toute cette période, les quelque 2 000 drogueries Rossmann du pays, elles, sont restées ouvertes, comme tous les magasins vendant des produits de première nécessité. Ce qui a opportunément permis au livre du patron de figurer en bonne place sur les présentoirs.
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