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Il y a 80 ans, l’attentat du métro Barbès : “Titi est vengé”

Le 21 août 1941, le militant communiste Pierre Georges (le futur « colonel Fabien ») abat à la station de métro Barbès un aspirant de la marine allemande. Cet événement marque le premier attentat meurtrier contre les troupes d’occupation. La répression se durcit. La politique des otages est enclenchée.

« Ce matin, 21 août, à 8 h 05, à la station Barbès-Rochechouart, ligne 4, quai direction Porte d’Orléans, un officier de marine allemande, M. (Alfons) Moser, a été atteint de deux coups de révolver alors qu’il montait dans la voiture de première classe d’une rame à l’arrêt. (…) Un individu qui se trouvait à la deuxième porte de la voiture de première classe a tiré deux coups de révolver au travers d’une de ses poches sur l’officier qui montait par la porte voisine. L’auteur de l’attentat et un autre individu sont descendus précipitamment de la rame ; ils se sont précipités vers la sortie en courant et ont gagné l’extérieur de la station après avoir sauté par-dessus les battants verrouillés. »

Il y a 80 ans, comme le raconte ce compte-rendu de la préfecture, un attentat meurtrier était commis pour la première fois contre un militaire allemand. L’occupant ne le sait pas encore, mais c’est un jeune militant communiste, Pierre Georges dit Frédo, le futur colonel Fabien, secondé par Gilbert Brustlein, qui vient de faire le coup. « C’est le premier acte de la Résistance d’inspiration communiste, Pierre Georges (Fabien) est le commissaire militaire des bataillons de jeunesse, une organisation clandestine patronnée par le PC clandestin. Vétéran des Brigades internationales, c’est lui qui a pensé l’attentat », explique l’historien Gilles Ferragu de l’Université Paris Nanterre, auteur d’ »Otages, une histoire » (Gallimard).

En prenant la fuite dans les rues de Paris, Frédo s’exclame : « Titi est vengé ». Deux jours auparavant, deux de ses camarades, Samuel Tyszelman et Henri Gautherot, arrêtés à Paris lors d’une manifestation le 13 août, condamnés à mort le 18 août, ont été exécutés. Le 14 août 1941, le général Otto von Stülpnagel, à la tête du Commandement militaire des forces d’occupation allemandes (MBF), avait décrété que toute activité communiste était désormais passible de la peine de mort.

Affiche en langue française et allemande annonçant les éxécutions de Szmul Tyszelman et Henry Gautherot, fusillés à Paris le 19 août 1941. © Archives de Nantes

Une radicalisation de la répression

L’attentat du métro Barbès change encore plus la donne. Deux jours après, le commandant du « Grand Paris » (« Gross Paris ») annonce que « tous les Français mis en état d’arrestation, que ce soit par les autorités allemandes en France, ou qui sont arrêtés par les Français pour les Allemands, sont considérés comme otages. En cas de nouvel acte, un nombre d’otages correspondant à la gravité de l’acte commis sera fusillé (sic), autant que possible, à l’entourage des auteurs identifiés ou présumés des attentats. » « La mort de l’aspirant Moser est le prétexte à une radicalisation de la répression, fondée sur les otages. Certes, la pratique existe déjà dans l’armée allemande qui, depuis le 19 juin 1940, se contentait d’établir des otages à la journée, sans jamais les fusiller. Mais les instructions du 23 août 1941 sont plus menaçantes », souligne Gilles Ferragu.

Depuis le début de l’été 1941, la situation a bien changé. À la suite de l’invasion de l’URSS par les Allemands, le 22 juin, la politique répressive connaît un tournant brutal. « Jusque-là, en raison du pacte germano-soviétique, le Parti communiste avait fait profil bas », souligne l’historien Dominique Tantin, président de l’Association pour un Maitron des fusillés et exécutés. « À partir du moment où l’URSS est envahie par les nazis, ce dernier s’engage pleinement dans la Résistance et envisage très vite la lutte armée, même si cela se heurtait à des difficultés de moyens, mais aussi de motivations. Ce n’était pas dans sa tradition de tuer de manière isolée des soldats qui pouvaient d’ailleurs être potentiellement des communistes ou des ouvriers sous leur uniforme. Le déclic a été les condamnations à mort de Tyszelman et Gautherot qui ont montré la détermination des Allemands à mener une répression extrêmement violente. Pierre Georges a décidé de montrer l’exemple. »

La première exécution d’otages a lieu le 6 septembre. Trois otages sont fusillés au Mont Valérien, cinq à Lille le 15 septembre, puis 20 le 26 septembre. L’engrenage est lancé. « À Berlin, les instructions émanant de l’état-major général vont plus loin : le décret Keitel du 16 septembre appelle à des ‘mesures d’expiation’ contre ce qui relève forcément d’un terrorisme judéo-bolchevique – une interprétation constamment réitérée. Ces mesures sont d’ailleurs précisées dès le 28 septembre dans un code des otages », précise Gilles Ferragu. Cette directive installe un climat de terreur. Faute de pouvoir arrêter les coupables, l’occupant décide de représailles massives, en priorité contre les communistes et les juifs déjà incarcérés, innocents des faits, mais « idéologiquement coupables ».

« L’opinion va basculer du côté des résistants »

À l’automne, ce code entraîne des exécutions de masse. La plus connue est celle des 50 otages de Nantes (en réalité 48) le 22 octobre 1941 après l’assassinat du lieutenant-colonel Karl Hotz. « C’est la première (exécution) massive, avec notamment les 27 otages fusillés de Châteaubriant, dont le jeune Guy Môquet. Dans la mémoire de la Résistance communiste, ils ont été les premiers martyrs. Cela a provoqué un choc extrêmement important », raconte Dominique Tantin. Deux jours plus tard, 50 autres otages sont exécutés au camp de Souge en Gironde, en représailles à un attentat commis à Bordeaux contre un officier allemand. Mais c’est le 15 décembre 1941 que le record journalier est atteint, avec 95 otages fusillés. Au total, entre septembre et décembre 1941, 243 otages tombent sous les balles dont 154 communistes non juifs et 56 juifs dont une majorité de communistes.

Avis des autorités militaires allemandes qui annonce l’exécution de cinquante otages après les assassinats de Bordeaux et de Nantes. © Archives de Nantes

Face à ces attentats et à l’ampleur des représailles, les réactions sont d’abord contrastées. Le 23 octobre, au micro de la BBC, le général de Gaulle affirme qu’ »il est absolument justifié que les Allemands soient tués par les Français. Si les Allemands ne voulaient pas recevoir la mort, ils n’avaient qu’à rester chez eux et ne pas nous faire la guerre. » Il montre cependant son désaccord avec les attentats individuels en territoire occupé car « il est en ce moment trop facile à l’ennemi de riposter par le massacre de nos combattants momentanément désarmés ».

Le chef de la France libre appelle en revanche la population à des grèves symboliques. Dans l’opinion publique, selon Dominique Tantin, la réprobation règne dans un premier temps face aux exécutions de soldats allemands, « mais assez vite malgré tout, c’est l’horreur qui l’emporte. Les attentats vont atteindre le but visé qui était de secouer la torpeur des Français. L’opinion va basculer du côté des résistants et contre les Allemands. »

Des représailles contre-productives 

Cette répression engage aussi Vichy, qui collabore à ces représailles. « Quand ils ont voulu réagir à l’attentat de Nantes, les Allemands ont demandé au régime de Pétain qu’il fournisse une liste d’otages. Le ministre de l’Intérieur, Pierre Pucheu, l’a fait. Il a désigné 61 personnes, principalement des communistes. C’est dans celle-ci qu’ont été choisies les victimes de Châteaubriant et de Nantes », précise Dominique Tantin. Mais ces exécutions se révèlent finalement contre-productives pour l’occupant et Vichy. L’effet dissuasif ne fonctionne pas. Les attentats continuent. Le 7 novembre 1941, une nouvelle mesure est prise, le décret Keitel, dit « Nuit et brouillard ». Les résistants qui relèvent de cette procédure sont destinés à être jugés en Allemagne et doivent y être isolés du reste du monde extérieur. Leur sort est couvert par le secret le plus absolu. La déportation de répression prend de l’ampleur.

Dans le même temps, pour ménager l’opinion publique et pour ne pas freiner le recrutement de main d’œuvre pour l’Allemagne, les exécutions massives d’otages sont finalement abandonnées en novembre 1942. Cette politique est réactivée après l’exécution, le 28 septembre 1943 à Paris, du Dr Ritter, un colonel SS. Quelques jours plus tard, 50 otages sont extraits du fort de Romainville et fusillés au Mont Valérien. Ce sera la dernière fois.

En tout, selon les recherches effectuées par le Maitron, 819 otages ont été passés par les armes entre 1941 et 1943 dans la zone occupée. L’historien Dominique Tantin et les autres membres de son association essaient de leur redonner un visage. Depuis plusieurs années, ils œuvrent sur le site du Maitron pour rédiger une biographie pour chacun d’entre eux, ainsi que pour tous les fusillés de France. « Ils ont été oubliés dans la mémoire collective. Il faut leur restituer leurs personnalités et leur histoire », insiste-t-il.

En ce sens, le Maitron perpétue l’œuvre de Louis Aragon. En janvier 1942, ce dernier récupère auprès de Jacques Duclos, responsable du Parti communiste, les témoignages et les lettres des otages de Châteaubriant. Le poète leur rend hommage dans un texte clandestin, « Les Martyrs », lu sur la BBC, et il fait connaître leur sacrifice : « Est-ce bien la France direz-vous, où se passent des choses pareilles ? Oui, c’est la France, soyez-en sûrs. Car ces vingt-sept hommes représentent la France mieux que ceux qui les ont désignés aux bourreaux allemands. Leur sang n’aura pas coulé en vain. »

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