Iyad Ag Ghali n’a pas attendu la prise de Kaboul pour saluer la victoire des talibans en Afghanistan. Alors qu’il ne s’était pas exprimé depuis novembre 2019, le chef djihadiste du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), la branche sahélienne d’Al-Qaida, s’est fendu, mardi 10 août, d’un message audio dans lequel il a rendu hommage à « notre “émirat islamique d’Afghanistan” à l’occasion du retrait des forces américaines d’invasion et de leurs alliés ». Un renversement qui, a-t-il ajouté, « est le résultat de deux décennies de patience ».
Ce n’est pas un hasard si l’irrésistible offensive des talibans résonne, à la première personne du pluriel, jusqu’aux confins du Sahel. Lors de la création du GSIM en 2017, Iyad Ag Ghali a prêté allégeance à Al-Qaida mais aussi aux islamistes afghans. Les talibans, comme les combattants sahéliens, participent de la même nébuleuse. « Ils ont un vrai savoir-faire insurrectionnel commun, qui est le produit de la matrice Al-Qaida, souligne Yvan Guichaoua, chercheur à l’Ecole d’études internationales de l’université du Kent, à Bruxelles. Ils partagent, en outre, un même but : l’application de la charia. »
Les djihadistes du GSIM n’ont pas été les seuls, dans la région, à suivre de près le basculement de l’Afghanistan dans le giron taliban. Le 16 août, nombre de Maliens ont découvert, médusés, les images surréalistes des Afghans s’agrippant aux avions militaires sur le point de décoller de Kaboul. Les Maliens, eux, vivent depuis dix ans sous la menace des djihadistes, tantôt affiliés à Al-Qaida, tantôt à l’organisation Etat islamique. Et ce, malgré une intervention antiterroriste française déclenchée en janvier 2013 (opérations « Serval » puis « Barkhane ») à la demande du gouvernement malien et sous mandat de l’ONU.
Et si l’hostilité à l’égard des troupes françaises gagne du terrain dans l’opinion, elle n’exclut pas la peur du vide. « Comme les Américains qui ont fui l’Afghanistan sans demander leur reste, les Français et les casques bleus qui sont au Mali vont un jour s’enfuir et nous laisser en face à face avec l’ogre terroriste », s’est alarmé Cheick Oumar Konaré, un célèbre avocat malien, lors d’un débat télévisé diffusé sur Africable, le 15 août.
Fin annoncée de la mission « Barkhane »
« Tirons les leçons de cet échec afghan, pendant qu’il en est encore temps », somme Tiébilé Dramé, ancien ministre des affaires étrangères d’Ibrahim Boubacar Keïta dit « IBK » (renversé par un coup d’Etat du 18 août 2020). « Quel message nous envoie les images de l’aéroport de Kaboul ? Depuis des années, des activistes réclament régulièrement le départ des troupes étrangères, reprenant ce faisant les demandes des chefs de guerre. Il faut voir la réalité en face. Les troupes étrangères font un travail utile. Nous devrions sérieusement réfléchir aux conséquences d’un départ précipité non-coordonné. »
Un tel scénario n’est pas à l’ordre du jour. Contrairement aux Etats-Unis en Afghanistan, la France n’est pas près de se désengager du Sahel. Le 10 juin dernier, Emmanuel Macron a certes annoncé la fin de la mission « Barkhane » en tant qu’opération extérieure, mais une « transformation profonde » de la présence militaire française au Sahel va s’amorcer, a précisé le président français. Le début du retrait, fin 2021, sera progressif. S’il doit concerner, à une échéance encore indéterminée, au moins 40 % des effectifs, quelque 3 000 à 2 500 soldats devraient rester sur le terrain, dans le cadre d’une lutte antiterroriste internationalisée.
Toutefois, la fermeture des bases militaires françaises au nord du Mali (Tombouctou, Kidal et Tessalit) d’ici à 2022, inquiète. Au début de la guerre en 2012, les soldats maliens avaient été contraints d’abandonner certaines de leurs positions à l’ennemi, une coalition composée de groupes djihadistes et indépendantistes rebelles. Dix ans plus tard, ces villes seront-elles reprises par les djihadistes, une fois les bases françaises closes ? La question taraude les observateurs, car l’armée malienne, malgré neuf années passées sous perfusion occidentale (formations, armements, financements), semble toujours incapable de rivaliser avec un ennemi qui ne cesse de répandre son influence vers le sud.
Dans son prêche du 10 août, Iyad Ag Ghali s’est empressé de souligner « l’échec cuisant » de la France, estimant la victoire proche. En réalité, la partie est loin d’être jouée pour le GSIM qui « n’a pas l’expérience du gouvernement comme les talibans (au pouvoir à Kaboul de 1996 à 2001) et reste pour l’instant à la tête d’une insurrection djihadiste disposant d’une assise populaire très limitée », explique Rida Lyammouri, chercheur au sein du groupe de réflexion marocain Policy Center for the New South (PCNS). Le GSIM n’a pas non plus bénéficié du soutien sans failles d’un Etat voisin, comme les talibans avec le Pakistan.
Une aide internationale à double tranchant
Si les contextes et les maux diffèrent, l’interventionnisme occidental semble néanmoins tomber encore et encore dans les mêmes travers. « Méconnaissance des sociétés ou fausses interprétations : l’expertise produit un manque de lucidité, relève Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l’université Paris-I et spécialiste de l’Afghanistan qui effectue, aussi, des recherches sur les institutions maliennes. Les mêmes organisations produisent des expertises similaires en Afghanistan comme au Mali. Le circuit est fermé, car la réussite d’un expert est mesurée à son degré d’introduction auprès des décideurs et à ses capacités à obtenir des financements. Derrière, les sociétés locales se retrouvent dépossédées de leur politique, ce qui accélère l’affaiblissement de l’Etat et peut produire du désordre. »
L’économie de la guerre développée par l’interventionnisme est tout aussi déstabilisante, comme le souligne Elie Tenenbaum, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) : « l’aide internationale s’est accrue brutalement, alors que ces pays n’avaient pas d’Etat ni de gouvernance suffisamment forte pour la gérer. Cela a créé un effet d’aubaine qui s’est traduit par une augmentation de la corruption. » Une gangrène qui s’est notamment répandue au sein des armées. Des milliards d’euros ont été détournés par des régimes politiques soutenus par l’Occident, complexifiant encore davantage le combat des troupes régulières contre les terroristes.
« On a détourné le regard sur leurs problèmes de gouvernance, se contentant de froncer les sourcils lors des gros scandales ou des coups d’Etat. Et pourtant, ces gouvernements étaient largement déconsidérés par leur propre population », déplore Yvan Guichaoua. Au point de faire basculer certains civils dans le camp des islamistes, moins par conviction que par manque d’alternative politique crédible.
« Pour contrer ces insurrections violentes, il faut laisser émerger de nouvelles forces politiques qui correspondent aux aspirations réelles du peuple. Cela fait peur aux Occidentaux car ils ne pourront pas forcément les contrôler et que leurs idées pourraient rejoindre, sur certains plans, une partie du discours des islamistes, mais ils seront les seuls à avoir le contrepoids suffisant », analyse quant à lui Elie Tenenbaum, avant de tirer du scénario afghan une leçon qui pourrait être utile au Sahel : « Etre modeste dans ses ambitions. Il faut que les acteurs internationaux qui, légitimement, vont protéger leurs intérêts, essaient d’avoir un périmètre réduit à une juste suffisance. Le reste doit dépendre des acteurs locaux ».
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