Fatima A. a travaillé comme caissière dans un camp militaire français de Kaboul entre 2011 et 2012. Menacée à cause de cette activité, elle a demandé plusieurs fois des visas à la France mais a toujours essuyé des refus. Le 4 août dernier, elle racontait à InfoMigrants ses craintes d’être tuée alors que les Taliban approchaient de Kaboul. Après le discours d’Emmanuel Macron sur la situation en Afghanistan, lundi soir, elle espère toujours obtenir une protection.
Comme probablement tous les Afghans, Fatima A. se souviendra toute sa vie du dimanche 15 août 2021, quand les Taliban sont entrés dans Kaboul. « J’étais à l’hôpital où je travaille quand mon frère m’a appelée. Il m’a dit de rentrer car la situation était tendue, raconte-t-elle à InfoMigrants, par téléphone. Le soir, les Taliban sont entrés dans Kaboul. »
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Pour la jeune femme de 28 ans, menacée depuis des années pour avoir travaillé entre 2011 et 2012 comme caissière dans un camp militaire français, l’arrivée des Taliban à Kaboul est une plongée en enfer. « Dimanche soir, je n’ai pas pu dormir de toute la nuit et je n’arrive pas à dormir depuis […] Psychologiquement, je suis ravagée. Je n’arrive pas à décrire mon état mental », confie-t-elle, épuisée par le stress et le manque de sommeil.
Quand Emmanuel Macron a pris la parole lundi 16 août, Fatima A. n’a pas manqué un mot du discours du président français. « J’ai attendu jusqu’à deux heures du matin pour pouvoir lire des articles sur ce que le président français avait dit au sujet des Afghans. Il a mentionné les auxiliaires de l’armée française. J’espère que c’est mon cas et que la France ne m’abandonnera pas. »
Le chef de l’État a affirmé lors d’une allocution télévisée que la priorité de Paris était d’évacuer les Français encore présents en Afghanistan, notamment des diplomates, des humanitaires et des journalistes, dont le nombre est évalué à quelques dizaines.
Mais « notre devoir et notre dignité » est aussi « de protéger » les Afghans qui ont aidé la France et sont, de ce fait, menacés par les Taliban, qu’ils soient « interprètes, chauffeurs ou cuisiniers », a ajouté Emmanuel Macron.
« Le flou total »
Des mots qui ont redonné un peu d’espoir à la jeune femme et à son avocat, Antoine Ory. Avec d’autres avocats, ce dernier tentait, mardi, de produire une liste d’auxiliaires de l’armée française toujours à Kaboul pour la communiquer au quai d’Orsay.
« C’est le flou total. Nous n’avons aucune information sur la façon dont pourrait se passer leur éventuel rapatriement », déplore-t-il. Pourtant le temps presse. Le départ des derniers Occidentaux risque de marquer le début d’une grande vague de violences.
« Maintenant les Taliban sont en train de recueillir des informations concernant les habitants de Kaboul. Ils attendent que les Américains partent puis ils vont assassiner tous ceux qui ont travaillé avec les forces étrangères. Les jours et semaines à venir seront horribles », prédit Fatima A.
Depuis l’arrivée des combattants islamistes dans la capitale afghane, la jeune femme n’est pas sortie de chez elle, de « peur d’être identifiée ». Il y a quelques semaines, elle été explicitement menacée de mort par un oncle pour son emploi auprès de l’armée française. « On ne sait pas où il est. Je crains qu’il m’ait déjà dénoncée aux Taliban », souffle la jeune femme.
Selon elle, les Taliban auraient déjà « commencé à fouiller les maisons à l’ouest de Kaboul ». « C’est là où les Hazaras [minorité chiite particulièrement ciblée par les Taliban NDLR] habitent. »
Pour son avocat, il reste « quelques heures » pour sauver les derniers auxiliaires de l’armée française. Terrée chez elle et malgré la peur qui la paralyse, Fatima A. tente de garder espoir. « Je n’ai pas le choix. »
« Des proies faciles »
Sur les quelque 800 Afghans employés par les troupes françaises entre 2001 et 2014, environ 270 ont pu obtenir un visa français. Mais environ 80 dossiers sont toujours bloqués, dont celui de Fatima A., l’une des trois seules auxiliaires femmes de l’armée française, triplement menacée parce qu’elle est femme, ancienne auxiliaire et membre de la minorité chiite.
Alors que les paroles d’Emmanuel Macron sur la nécessité de se « protéger contre des flux migratoires irréguliers importants » ont été vivement critiqués par les défenseurs des droits humains, de nombreuses voix se sont élevées pour appeler les autorités françaises à élargir le rapatriement des Afghans menacés.
Dans une tribune publiée dans Le Monde lundi, un collectif d’avocats, dont Antoine Ory, réclamait une « protection immédiate » pour les interprètes et auxiliaires de l’armée française. « À l’instar des purges réalisées en 1996 à la suite de l’assassinat du président Najibullah et de leur prise de Kaboul, les Taliban seront impitoyables avec ceux qui ont collaboré avec les puissances étrangères […] Ils sont identifiés par les talibans et représenteront des proies faciles pour en faire des exemples et asseoir leur nouvelle autorité », soulignent les avocats, rappelant que des interprètes ont déjà été assassinés en représailles de leur collaboration avec l’armée française.
L’ancienne employée de l’armée française avait fait une demande de protection en 2019 mais le ministère de l’Armée lui a refusé aux motifs que la jeune femme ne pouvait pas apporter de preuves concrètes des menaces dont elle disait être la cible. Le 28 juillet, le tribunal administratif de Paris a une nouvelle fois rejeté sa demande de visa, estimant que les éléments produits par l’ancienne auxiliaire « ne permettent pas d’attester la réalité des craintes qu’elle invoque ». Fatima A. avait déposé devant le tribunal administratif un référé contre le refus de visa que lui avait déjà opposé le ministère des Armées en 2020.
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