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Afghanistan : pourquoi l’armée afghane s’est rapidement effondrée face aux Taliban

Les Taliban sont entrés dimanche dans Kaboul, consacrant ainsi leur mainmise sur le pays. Au cours des dernières semaines, le groupe de combattants islamistes a conquis le pays à une vitesse étonnante, souvent sans combattre. Explications sur la faillite de l’armée gouvernementale. 

Dix jours. C’est le nombre de jours qui se sont écoulés entre la prise par les Taliban de la première capitale provinciale, Zaranj dans le sud-ouest, et celle de Kaboul. Dans cet intervalle, jamais l’armée gouvernementale afghane n’a semblé en mesure de freiner l’avancée du groupe islamiste, mettant en évidence les erreurs commises pendant vingt ans en Afghanistan par les États-Unis et le Pentagone, qui ont dépensé sans compter et sans succès. 

« Personne ne s’attendait à ce que les Taliban aillent aussi vite », rappelle Bruno Daroux, chroniqueur internationale de France 24. 

Un équipement impossible à entretenir 

Depuis le début de leur occupation en Afghanistan, les États-Unis ont dépensé 83 milliards de dollars pour créer de toutes pièces une armée à l’image de celle de Washington, c’est-à-dire dépendant largement d’un soutien aérien et d’un réseau de communication en bon état, dans un pays où seulement 30 % de la population a de l’électricité 24 heures sur 24.  

Avions, hélicoptères, drones, véhicules blindés, lunettes de vision nocturne : les États-Unis n’ont reculé devant rien pour équiper l’armée afghane. Ils lui ont encore remis récemment des hélicoptères Black Hawk dernier cri. Mais les Américains n’ont pas tenu compte du fait que la majorité des soldats afghans étaient illettrés, que le pays manquait d’infrastructures pour entretenir un tel équipement. 

Les militaires américains auraient sciemment choisi de surestimer l’armée afghane 

Lorsqu’il fallait évaluer l’armée afghane, « les militaires changeaient d’objectifs pour que ce soit plus facile de revendiquer un succès. Et quand ils n’ont plus pu le faire, ils ont classé les objectifs secret-défense », a récemment souligné l’inspecteur général pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar), John Sopko. « Ils savaient à quel point l’armée afghane allait mal », a-t-il complété. 

« Les systèmes d’armement avancés, les véhicules, la logistique utilisés par les armées occidentales dépassaient les capacités de militaires afghans largement illettrés et peu éduqués », indique également  le dernier rapport du Sigar, chargé par le Congrès américain de superviser l’action des Etats-Unis en Afghanistan. 

Des effectifs surévalués 

Les responsables du Pentagone n’ont eu de cesse ces derniers mois de souligner à quel point les forces afghanes (armée et police), fortes de plus de 300 000 hommes, avaient un avantage sur 70 000 Taliban. 

« Le gouvernement afghan a régulièrement [souligné ce rapport de force de 4 contre 1], mais il n’est pas certain que les forces afghanes aient été aussi importantes », explique Frédéric Grare, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, interrogé par France 24. « Mentir leur permettait d’obtenir un soutien financier de la part des États-Unis supérieurs à ce qu’il aurait dû être. » 

« Mentir permettait au gouvernement d’obtenir un soutien financier »

Selon le « Combatting terrorism center », de la prestigieuse école militaire de West Point, sur les 300 000 personnes, seuls 18 000 étaient placés en juillet 2020 sous l’autorité du ministère afghan de la Défense (armée de terre, armée de l’air, forces spéciales). Les autres étaient des policiers et autres membres des services de sécurité. Les analystes de West Point estiment aussi qu’à peine plus de la moitié des effectifs de l’armée afghane étaient des combattants. Si l’on écarte les 8 000 hommes de l’armée de l’air, les capacités de l’armée de terre afghane ne dépassent pas 96 000 hommes, ont-ils conclu. 

Selon le rapport du Sigar, les désertions ont également été un problème. « En 2020, l’armée afghane devait recruter 25 % de ses effectifs chaque année, ce que les militaires américains avaient fini par considérer comme normal ». Les désertions étaient « l’un des principaux » facteurs expliquant ce taux très élevé de renouvellement.  

Un retrait trop rapide des Américains 

Selon l’accord passé entre l’administration Trump et les Taliban, le retrait total des forces étrangères de l’Afghanistan devait intervenir au 1er mai. Son successeur Joe Biden a repoussé la date au 11 septembre, mais il a aussi décidé de retirer tous les ressortissants américains du pays, y compris les sous-traitants civils qui jouent un rôle clé dans la logistique de l’armée américaine. 

Il a également affirmé à maintes reprises qu’il s’engageait à continuer à soutenir l’armée afghane après le 31 août 2021, sans toutefois mettre en place la logistique pour le faire. 

Lors de sa dernière visite à Kaboul en mai, Lloyd Austin, le ministre américain de la Défense lui-même évoquait la possibilité d’aider à distance l’armée de l’air afghane à assurer elle-même la maintenance de ses avions, ce qu’il appelait l’assistance « au-delà de l’horizon ». Ce concept impliquait des formations virtuelles, via la plateforme de conférence vidéo en ligne Zoom. Une approche qui apparaît illusoire à moins que les soldats afghans n’aient pu être équipés d’ordinateurs ou de smartphones performants et reliés à un réseau Wi-Fi en bon état. 

Selon Ronald Neumann, un ancien ambassadeur américain à Kaboul, les militaires américains « auraient pu prendre davantage leur temps ». 

Une corruption qui a directement profité aux Taliban

Pendant des années, le gouvernement américain a publié des rapports détaillant l’ampleur de la corruption au sein des forces de sécurité afghanes. Les commandants empochaient régulièrement l’argent destiné à leurs troupes, vendaient des armes au marché noir et mentaient sur le nombre de soldats dans leurs rangs.  

Selon le Washington Post, cette corruption a directement profité aux Taliban. Avant même le lancement de leur offensive fin mai 2021, ils ont entrepris un travail de sape méthodique dans les régions rurales du pays.  

Les Taliban ont passé des accords, présentés comme des cessez-le-feu, avec toute une série de personnes allant du soldat de base, à des fonctionnaires locaux jusqu’aux gouverneurs. Les islamistes offraient de l’argent contre la remise des armes des forces gouvernementales et, plus tard, contre une capitulation rapide et sans résistance. 

Les Taliban ont trouvé un terreau fertile, notamment chez les simples soldats. Les salaires de l’armée afghane étaient payés depuis des années par le Pentagone. Or à partir du moment où l’armée américaine a annoncé son retrait à la mi-avril, les fonds ont été versés au gouvernement de Kaboul. De nombreux témoignages de soldats afghans sur les réseaux sociaux montrent qu’ils n’ont pas été payés depuis plusieurs mois et qu’ils n’ont pas été ravitaillés en nourriture, ni même en munitions. 

À cela, s’ajoutaient un commandement par des civils du palais présidentiel dénués d’expérience militaire et des généraux vieillissants plus impliqués dans de vaines luttes politiciennes que dans la guerre en cours.  

« L’annonce du retrait a sans doute eu un effet démobilisateur », explique Frédéric Grare. « La perspective de se battre pour un gouvernement pour lequel ils ont perdu toute confiance n’était pas très engageant. La plupart des villes ont été prises sans combattre. » 

Une démobilisation et une corruption qui explique que les Taliban ont pu s’emparer du pays sans quasiment avoir à combattre, à l’image de la prise du palais présidentielle de Kaboul. Ce dernier a été pris le 15 août sans le moindre combat, le président Ashraf Ghani ayant choisi de déserter le pays. 

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