Comme le roi de légende d’une tragédie antique s’agrippant aux oripeaux d’un pouvoir en loques, Ashraf Ghani misait encore, la veille de sa fuite de Kaboul, dimanche 15 août, sur une improbable résistance à la foudroyante avancée de l’ennemi : samedi, après l’écroulement quasi total de tout son « royaume » et la chute des plus importantes capitales provinciales aux mains des talibans, le président de la République d’Afghanistan donnait le sentiment d’avoir perdu tout sens des réalités.
Alors que, les uns après les autres, ses régiments faisaient défection ou déguerpissaient devant l’ennemi, le chef de l’Etat avait appelé ses troupes à se « mobiliser » contre l’adversaire. « Je suis bien conscient que vous êtes inquiets », avait-il dit en s’adressant à son peuple à la télévision, alors que la panique était en train de gagner les rues de Kaboul. Il avait ensuite précisé, toujours optimiste, « tenir des consultations intergouvernementales et avec les partenaires étrangers, [discussions] dont je vous ferai bientôt part des conclusions ». Le lendemain il s’envolait pour l’exil ; et le Tadjikistan voisin.
On ne peut imaginer contraste plus saisissant entre ses promesses d’hier et son destin d’aujourd’hui. Ashraf Ghani était de longue date prisonnier de son palais – sinon de lui-même : reclus dans l’« Arg », la Citadelle, cette forteresse construite par les Britanniques à la fin du XIXe siècle lors de la seconde guerre anglo-afghane, le chef de l’Etat vivait coupé du monde réel. « Il est isolé, confus et soupçonneux de tout le monde », confiait il y a quelques jours au New York Times l’ancien ministre adjoint de la défense Tamin Asey.
Entouré d’une myriade de gardes du corps, entravé par son obsession maniaque du contrôle et du « micromanagement », cet intellectuel brillant, docteur en anthropologie de l’université américaine de Columbia et ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale, aura été à la tête de l’Afghanistan durant six ans, dix mois et dix-sept jours. Sans parvenir, tout comme son prédécesseur Hamid Karzaï, à rebâtir un Etat.
Intègre, intelligent mais arrogant
C’est bien le seul point commun entre ce septuagénaire au crâne chauve et à la fine barbiche blanche et celui qui l’avait précédé à la présidence : Karzaï a quitté le pouvoir en laissant le souvenir d’un président ultra-corrompu ; Ghani celui d’un homme intègre, chef d’un régime qui ne l’était pas. Depuis qu’il avait survécu à un cancer qui l’avait privé des deux tiers de son estomac, le président se nourrissait peu, dînait seul, lisait, et compulsait d’épais rapports ; toujours soucieux d’être – en théorie – au courant de tout. Si on lui donnait un mémo de 500 pages sur la collecte des ordures dans Kaboul, il passait la nuit à le dévorer, ainsi que l’a raconté il y a quelques années un envoyé spécial du New Yorker.
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