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Avec « Kukum », le Canada face au drame amérindien

FRED PÉAULT

Kukum est le récit de « l’Atlantide innue », l’histoire d’un royaume disparu. Celle d’un territoire ancestral submergé, au sens propre, par les eaux des barrages hydrauliques construits sur les rivières du nord du Québec par les colons, celle d’une culture effacée par le « progrès » apporté par ces mêmes colons. Son souvenir hante aujourd’hui encore ses survivants, ces communautés autochtones désormais réduites à vivre dans des « réserves » ou à s’abîmer dans les grandes villes québécoises. Le livre pique aussi sans relâche la mauvaise conscience des Canadiens, coupables de ce « génocide culturel » – reconnu par le premier ministre canadien, Justin Trudeau, en juin –, qui n’a jamais obtenu réparation.

Sédentarisation forcée

Kukum (« grand-mère », en langue innue) est d’abord une touchante histoire d’amour entre Almanda, la propre arrière-grand-mère de l’auteur, Michel Jean, jeune orpheline d’origine irlandaise née en 1877, et Thomas Siméon, un « Indien à la peau cuivrée » qu’elle voit un jour apparaître sur la rivière Péribonka. En l’épousant, elle adopte sa culture, s’initie à une langue et à un savoir ancien, découvre une vie de liberté, celle des premiers peuples du continent, à l’écoute des cycles de la nature, qui affrontent l’hiver dans la forêt reculée des Passes-Dangereuses et s’installent à la belle saison dans leur campement sur les rives du lac Pekuakami (lac Saint-Jean) pour vendre à la Compagnie de la baie d’Hudson les peaux et fourrures des animaux chassés.

Mais si Almanda se fond dans ce nouveau monde, elle assiste aussi à sa lente destruction. Surgissent au fil du récit les éléments qui vont peu à peu dérégler, puis éradiquer, un mode de vie et une culture. La déforestation qui fait fuir le gibier. Le dravage, ces milliers de troncs d’arbres destinés aux usines de pâte à papier qui envahissent les rivières et coupent du jour au lendemain l’accès au territoire ancestral, transformant ce peuple de nomades en sédentaires malheureux et amers. Le savoir-faire des aînés qui s’oublie, la langue innue qui se perd, l’alcool dans lequel un peuple se noie.

Une culture brisée

« Après nos terres, ils nous ont pris la seule chose qui nous restait, nos enfants. » Almanda raconte l’une des pires entreprises des colons canadiens, qui va perdurer presque jusqu’à la fin du XXe siècle : les enfants autochtones arrachés à leurs familles pour être envoyés dans des pensionnats religieux. La découverte, le 28 mai, des ossements de 215 enfants autochtones enfouis dans une fosse commune d’un de ces pensionnats « indiens » de Colombie-Britannique a ravivé la douleur de ces communautés. « Ils ont blanchi nos mœurs, mais qui peut oublier qui il est vraiment ? Pas moi », conclut Michel Jean, innu lui-même, dépositaire de l’histoire de son peuple.

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