Umaro Sissoco Embalo n’est pas du genre modeste. « Je n’ai aucun modèle, je n’admire personne », assure le président bissau-guinéen, tout de bazin vêtu, dans le confortable salon de sa résidence du quartier de la zone 7, à Bissau. En une heure d’entretien avec Le Monde Afrique, l’homme fort du pays, arrivé au pouvoir il y a un an et demi, n’a pourtant cessé de se comparer à ses homologues du monde entier… et notamment au Philippin Rodrigo Duterte, leader populiste qui s’est illustré depuis son élection, en 2016, par de graves violations des droits humains au nom de la lutte contre le trafic de drogue et de la défense de la sécurité nationale. « En trois mois, il a mis fin à de nombreuses pratiques institutionnalisées », préfère retenir Umaro Sissoco Embalo.
Connu pour son franc-parler et soucieux de s’afficher lui aussi comme un homme à poigne, cet ancien général de brigade dans les années 1990 se revendique tout simplement de « l’embaloïsme », qu’il résume ainsi : « ordre, discipline et développement ». Une recette qui doit permettre d’en finir avec l’instabilité permanente de ce pays de moins de 2 millions d’habitants qui a connu quatre coups d’Etat et seize tentatives de putsch depuis l’indépendance obtenue vis-à-vis du Portugal en 1974. « Il n’y a pas de petit Etat ni de petit président », assène Umaro Sissoco Embalo.
« La Guinée-Bissau ne sera plus le pays que vous avez connu, où n’importe qui fait n’importe quoi. C’est terminé, terminé ! », lançait-il à ses électeurs, le 29 décembre 2019, au soir de sa victoire surprise contre le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), la formation indépendantiste historique. Qualifié au second tour avec à peine 28 % des suffrages, le candidat du Madem-G15, un parti dissident du PAIGC, a su rassembler 18 partis de l’opposition et diverses personnalités politiques du pays pour l’emporter au terme d’une longue crise postélectorale.
« Je décide, les autres exécutent »
Toujours coiffé d’un keffieh rouge lors de la campagne, celui qui se définit comme « anti-système » malgré son passé de premier ministre (2016-2018) a séduit par sa jeunesse (47 ans à l’époque) et son ambition déclarée : la lutte contre la corruption structurelle qui ronge le pays. Selon Transparency International, en 2018, la Guinée-Bissau possédait l’un des secteurs publics les plus corrompus au monde. Au prétexte de vouloir combattre ce fléau, Umaro Sissoco Embalo a placé des caméras de surveillance « dans tous les quartiers de Bissau ». Comme à Singapour, une cité-Etat qui « a été changée par un seul homme », se plait-il à comparer, mentionnant sans le nommer Lee Kuan Yew, dirigeant légendaire et autocratique (1959-1990) de l’ancienne colonie britannique, qu’il transforma en une économie florissante.
Amateur de saillies médiatiques, cet ancien officier décrit la corruption comme un « Covid social » dont les deux « vaccins » seraient « la discipline et l’ordre ». Tout en s’empressant de préciser : « Je ne suis pas un dictateur ! Mais quand le chef est réglo, la société suit. » Il affirme ainsi avoir été à l’origine de l’emprisonnement, début mai, de l’ancien ministre de la santé Antonio Deuna, accusé de détournements de fonds. Qu’importe la séparation des pouvoirs : « Ici il n’y a qu’un seul chef : je décide, les autres exécutent. Il y a une concertation, mais je ne tolérerai jamais les trafiquants et les corrupteurs. Pendant le Covid, l’OMS [Organisation mondiale de la santé] a demandé de libérer des prisonniers : ceux qui sont restés derrière les barreaux étaient accusés de corruption, homicide volontaire et trafic ou consommation de drogue. Avec moi, ces gens-là n’auront pas de grâce présidentielle. »
Selon lui, cette politique de fermeté, en apportant la stabilité, permettra d’attirer les investisseurs et de faire décoller le pays. Une fermeté qu’il dit appliquer dans la lutte anti-stupéfiants. Prêt à se battre « par tous les moyens » contre les trafiquants, il assure qu’ils ont miraculeusement « déserté le pays » depuis son élection. Une allégation impossible à vérifier et sujette à caution, tant la Guinée-Bissau s’est imposée depuis des décennies comme une plaque tournante de la drogue. Selon l’ONU, en 2018, au moins 30 tonnes de cocaïne entraient et sortaient du pays chaque année. En septembre 2019, la police locale et Interpol ont même réalisé la plus grosse prise de l’histoire du pays : près de deux tonnes de cocaïne en provenance de Colombie.
Peu de temps après l’indépendance, les cartels sud-américains ont en effet profité de la pauvreté et d’une administration défaillante pour s’installer dans cette zone stratégique. Sur certaines îles de l’archipel des Bijagos, des pistes ont été tracées pour faire atterrir des coucous à hélices capables de voler quelques heures hors des radars de contrôle. Début 2009, dans ce pays qualifié de narco-Etat par l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC), le président Nino Vieira était assassiné à la machette juste après un attentat visant le chef d’état-major des armées, sur fond de corruption liée à la drogue. Trois ans plus tard, des généraux mouillés dans le trafic de cocaïne menaient l’armée au pouvoir.
Grève des services publics
S’il assure que ce temps est révolu, une photo d’Umaro Sissoco Embalo après son élection continue de faire polémique. On le voit poser aux côtés de l’ancien chef d’état-major Antonio Indjai et du général Ibrahima Papa Camara, tous deux accusés par les Etats-Unis d’avoir été impliqués dans le trafic de drogue lorsque l’armée était au pouvoir. Mais le président a réponse à tout, quitte à changer son fusil d’épaule concernant son approche de la justice : « J’avais entendu ça pour Indjai, mais il n’a jamais été condamné ou jugé. Je ne suis pas magistrat ! Et à l’époque je n’étais pas ici. Je peux vous l’affirmer : plus aucun membre de l’armée n’est impliqué dans le trafic. »
Le président se targue d’attirer, depuis son élection, les chefs d’Etat du monde entier – « cela faisait trente-et-un ans que le président portugais n’était pas venu ici en visite officielle » – et les bailleurs de fonds internationaux, comme le Fonds monétaire international (FMI). Autre événement qu’il présente comme un signe d’apaisement : le retrait graduel, depuis 2020, des troupes déployées par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) après le coup d’Etat militaire de 2012.
Pourtant, quoi qu’il en dise, tout ne fonctionne pas encore dans le bon sens en Guinée-Bissau. Certains services publics sont en grève générale depuis décembre. Ils réclament notamment de meilleures conditions de travail et une augmentation du salaire minimum mensuel (à 50 000 francs CFA, soit environ 76 euros) dans un pays qui figure toujours parmi les moins développés au monde : 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
En Afrique Umaro Sissoco Embalo n’a pas que des amis. En déclarant son opposition aux troisièmes mandats, qu’il compare à des « coups d’Etat », il a provoqué le courroux d’Alassane Ouattara et d’Alpha Condé, ses homologues ivoirien et guinéen, réélus pour la troisième fois fin 2020 au terme de scrutins contestés. Ses alliés, eux, ont leur nom inscrit sur les panneaux des rues de son quartier de la zone 7. Parmi eux, les présidents Macky Sall (Sénégal), Muhammadu Buhari (Nigeria)… mais aussi Denis Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville), pourtant réélu en mars pour un quatrième mandat consécutif. Mais il professe son respect pour le chef d’Etat congolais, décrit comme « une référence du panafricanisme ». Umaro Sissoco Embalo n’en est pas à une contradiction près.
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