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Comment l’entreprise Impero Solutions a arnaqué des milliers d’investisseurs en Afrique de l’Ouest

La société canadienne baptisée Impero Solutions, qui proposait des investissements attractifs en ligne, a arnaqué plusieurs milliers d’investisseurs dans le monde à partir de la fin 2020, dont une grande partie en Afrique de l’Ouest. Contactée par une victime, la rédaction des Observateurs a enquêté sur les méthodes de cette société, qui s’est appuyée sur une opération de communication rodée et des documents frauduleux prétendant que l’opération était soutenue par le gouvernement canadien.

Impero Solutions, créée en 2020, se présentait comme une « société d’investissement dans le trading gérant plusieurs classes d’actifs » et « visant à générer des retours sur investissement attractifs ».

Basée au Canada, la société promettait des packages d’investissement à court terme offrant des rendements allant de 11,6 % pour 50 dollars investis sur 16 jours ouvrables, à 230 % pour un investissement de 75 000 à un million de dollars sur 100 jours ouvrables, avec la possibilité de réinvestir à la fin de la période. Des propositions équivalentes à des rendements annuels de plus de 500 %, soit dix fois supérieures à celles des fonds d’investissement traditionnels les plus performants.

Une vidéo promotionnelle sur le site de l’entreprise donnait aux clients potentiels des instructions étape par étape sur la façon de s’inscrire et d’effectuer des dépôts, mais elle ne donnait aucune indication sur la manière dont l’entreprise investirait l’argent et le ferait fructifier. On y voit notamment une femme anglophone, doublée en français, expliquer que les clients pouvaient déposer de l’argent en utilisant des comptes de « portefeuilles électroniques » tels que PerfectMoney, un service de paiement en ligne populaire en Afrique de l’Ouest, et des comptes dans les trois principales cryptomonnaies : Bitcoin, Ethereum et Tether.

Une autre vidéo décrivait par exemple les perspectives de développement via un « système de parrainage » dans le cadre duquel les clients pouvaient gagner des revenus supplémentaires et améliorer leur « leadership » en inscrivant d’autres investisseurs. Il a déclaré que les investisseurs pouvaient retirer leur argent « à tout moment, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ». Une copie de ce site Internet est disponible ici.

Capture d’écran du site Internet d’Impero Solutions avant sa fermeture. © Impero Solutions

« Ce qui m’a vraiment convaincu, c’est le fait que l’entreprise affirmait avoir reçu une autorisation officielle du gouvernement canadien »

Le 31 mai, la rédaction des Observateurs a été contactée par un internaute ivoirien, Jean (pseudonyme), qui a investi 1,2 million de francs CFA (environ 1 800 euros) dans cette entreprise. Étudiant mais également vendeur de poulet à Abidjan, il a été alléché par les profits importants, et rassuré par un ami. Il raconte :

J’ai vu beaucoup de témoignages sur YouTube qui m’ont incité à investir. J’ai pris un mois pour étudier l’entreprise en détail, et j’ai vu toutes ces vidéos qui montrent notamment le président d’Impero Solutions vantant les mérites de l’entreprise. C’était la première fois que je me lançais dans une telle activité.

Ce qui m’a vraiment convaincu, c’est le fait que l’entreprise affirmait avoir reçu une autorisation officielle du gouvernement canadien que j’ai pu vérifier par moi-même. Je suis allé sur le site du gouvernement du Canada, et effectivement, j’ai pu trouver par moi-même que cette entreprise était bien inscrite sur les registres officiels.

À gauche, les documents présentés comme officiels remis par Impero Solutions à ses potentiels clients pour prouver son existence. À droite, capture d’écran du site de Corporations Canada montrant les statuts officiellement enregistrés par la société Impero Solutions. © Observateurs

Avec cet investissement de 1,2 million de francs CFA, je devais recevoir jusqu’à 330 000 francs CFA supplémentaires [soit 500 euros environ, NDLR] au bout de 26 jours. Pour moi, cette somme investie, c’est l’équivalent d’une année de salaire avec mes petites activités.

Une communication bien rodée

Les témoignages et commentaires recueillis par la rédaction des Observateurs de France 24 attestent d’internautes convaincus par l’opération de communication et l’aspect « professionnel » d’Impero Solutions. L’entreprise n’a pas hésité à réaliser des vidéos dans onze langues différentes, de l’anglais au français en passant par l’hindi, le chinois ou le russe afin de se faire connaître.

Dans ces vidéos apparaît un certain William Morrison, le PDG supposé de l’entreprise.

Impero Solutions joue aussi sur le côté « spontané » en proposant notamment une vidéo amateur filmée par un de ses « investisseurs ». On y voit l’entrée du bâtiment dans lequel l’entreprise affirme avoir son siège social à Montréal, puis l’investisseur monter dans l’ascenseur pour se retrouver dans les locaux… et jusque dans le bureau du PDG.

L’entreprise n’hésite pas non plus à mettre en scène ses meilleurs « investisseurs » dans un clip promotionnel où le PDG en personne leur remet des chèques et des cadeaux en main propre.

La stratégie consiste aussi à s’appuyer sur de nombreux relais via des groupes Facebook, WhatsApp et Telegram, et des « leaders », incitant les utilisateurs à investir, notamment en Afrique de l’Ouest. En Côte d’Ivoire par exemple, une conférence de presse a même été organisée fin avril pour vanter les mérites de cette solution financière.

Sur cette vidéo publiée sur Facebook le 26 avril dernier, un vidéaste amateur filme la journée de lancement d’Impero Solutions à Dubaï dans des locaux loués pour l’occasion, avec la présence d’un « coach » d’origine ivoirienne.

« Quand ils ont supprimé leur adresse e-mail de contact, on a compris qu’on ne reverrait jamais notre argent »

Au début, tout semble bien se passer pour Jean. Après avoir investi le 18 mai, il constate sur son compte Impero Solutions que les intérêts de sa mise, soit 23 dollars par jour, sont bien crédités.

Mais à partir du 24 mai, il est alerté par plusieurs de ses contacts qu’il est impossible de retirer son argent.

Nous avions un groupe Telegram avec plusieurs investisseurs en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Cameroun et des Africains basés aux États-Unis : aucun d’entre nous ne parvenait à se connecter à son compte Impero Solutions. Nous avons aussi constaté que le compte Telegram officiel d’Impero Solutions avait été fermé.

Nous avons contacté les « leaders » qui nous avaient incités à investir dans Impero Solutions. Ils nous ont dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter, qu’il y avait sûrement un problème technique, et que tout allait rentrer dans l’ordre. Mais nous n’avons eu aucune nouvelle.

Pour expliquer cette situation, certains investisseurs évoquent notamment dans les groupes de discussion privés la chute de la valeur du bitcoin, qui avait perdu 48 % de sa valeur courant mai.

Jean poursuit :

Puis nous avons constaté que même l’adresse e-mail officielle d’Impero Solutions avait été supprimée. C’est là qu’on a compris qu’on ne reverrait jamais notre argent. Le ciel m’était tombé sur la tête. J’ai été en dépression, et je commence tout juste à sortir la tête de l’eau [un mois après les faits, NDLR]. Personne n’est au courant dans ma famille… Je ne veux pas qu’on sache que j’ai perdu tout cet argent.

Le cas de Jean est loin d’être isolé : sur YouTube et Facebook, depuis la semaine du 24 mai, les témoignages se multiplient pour rendre compte de l’arnaque, certains, comme ce youtubeur français, affirmant avoir perdu jusqu’à 25 000 dollars (environ 21 200 euros).

Des bureaux fantômes et un acteur comme PDG

Dès les premiers doutes autour d’Impero Solutions, un youtubeur basé au Canada tente de se rendre au siège social supposé de l’entreprise, au 2200-1250, boulevard René-Lévesque à Montréal, pour demander des comptes. Mais sur place, il ne trouve aucune trace de la société.

Selon Le Journal de Montréal, la société Impero Solutions aurait bien loué un espace de travail auprès de la société Regus, une filiale d’IWG, mais ses représentants n’y auraient jamais mis les pieds.

Autre fait troublant pointé du doigt par de nombreux youtubeurs qui se sont intéressés à Impero Solutions : son PDG, William Morrison, semble lire un prompteur dans l’ensemble de ses interventions, et porter une moustache postiche ainsi que de faux grains de beauté qui changent parfois de place sur son visage au gré des vidéos.

Sur une première vidéo, William Morrison se présente avec deux grains de beauté, l’un au niveau du nez sous l’œil droit et un autre au coin de l’œil gauche. © Impero Solutions

Sur cette deuxième vidéo publiée après la première, le premier grain de beauté (en rouge) semble plus bas et plus proche du nez, et le second (en vert) a disparu. © Impero Solutions

Craig Goodwin alias William Morrison : « Je suis aussi une victime »

La rédaction des Observateurs de France 24 a retrouvé la personne ayant joué le rôle de William Morrison : il s’appelle Craig Goodwin et est professeur d’anglais à Moscou. Ce dernier a confirmé à notre rédaction être l’homme dans la vidéo, mais il affirme qu’il n’avait aucune idée de ce qui se cachait derrière ce rôle pour lequel il a été rémunéré :

J’ai été contacté par une entreprise spécialisée dans le marketing basée à Moscou et baptisée AnnFilm. Ils font des publicités pour des entreprises et m’ont contacté parce qu’ils cherchaient un homme avec un accent anglais et pas russe. Ils m’ont mis en face d’une caméra et m’ont dit « Peux-tu lire ce script ? » affiché sur un prompteur. J’ai demandé « Mais c’est pour quoi ? C’est une vraie entreprise ? » et ils m’ont simplement répondu que oui, c’était une grosse entreprise. J’ai trouvé ça bizarre, mais j’ai juste fait ce pour quoi j’étais venu : j’étais juste un acteur, et je n’ai à aucun moment été en contact avec les représentants d’Impero Solutions. Je n’étais pas le seul : il y avait trois ou quatre acteurs anglophones comme moi, c’était un peu comme un jeu de rôle.

C’est vraiment malheureux que quelqu’un ait investi dans une entreprise qui n’est pas ce qu’elle dit être. Je ne recommanderais jamais à quiconque d’investir dans ce genre de choses. Je ne le fais pas moi-même. Mais cela n’a rien à voir avec moi : j’enseigne l’anglais, je ne suis ni investisseur, ni banquier. Je suis aussi une victime.

La société AnnFilm, également contactée par notre rédaction, a de son côté nié avoir été impliquée dans le tournage de clips promotionnels pour la société Impero Solutions.

Une escroquerie difficile à évaluer

Pour attirer le plus d’investisseurs possibles, la société Impero Solutions a en tout cas misé sur le bouche-à-oreille 2.0 en passant par ce que la communauté des investisseurs appelle des « leaders » : des personnalités des réseaux sociaux distillant leurs conseils dans des vidéos sur YouTube, voire même des groupes privés sur WhatsApp ou Telegram.

Exemples de publications sur Facebook invitant des utilisateurs à rejoindre des groupes WhatsApp pour obtenir des conseils quant à leur investissement dans Impero Solutions. © Observateurs / Facebook

Il est difficile d’évaluer dans quelles mesures les « leaders » utilisés par Impero Solutions ont été des simples maillons de la chaîne eux-aussi escroqués, ou s’ils ont participé activement à l’escroquerie.

Selon les investigations menées par la rédaction des Observateurs de France 24, il existait encore, deux semaines après l’arrêt d’Impero Solutions, au moins une cinquantaine de groupes Facebook comptant près de 2 500 membres, à la fois en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, en Guinée, au Nigeria, au Canada et en France.

De son côté, Le Journal de Montréal affirme qu’il y aurait au moins 5 000 victimes en France, et encore plus sur l’ensemble du continent africain. Un chiffre que la rédaction des Observateurs de France 24 n’a pas été en mesure de confirmer.

Selon le Centre antifraude du Canada, qui caractérise l’arnaque comme une « fraude d’investissement », seulement 18 plaintes contre Impero Solutions ont officiellement été recensées et déposées par des résidents au Canada. Ce nombre de plaintes identifié soulignerait le fait que l’arnaque a principalement visé des cibles en dehors du Canada.

« Le fait que l’entreprise ait été inscrite au registre des sociétés par actions de régime fédéral du Canada ne garantissait aucunement la légalité de ses agissements »

L’arnaque est d’autant plus surprenante qu’Impero Solutions avait été épinglée dès le mois d’octobre 2020 par l’Autorité des marchés financiers (AMF) du Québec et placée sur sa liste noire des compagnies sollicitant illégalement des investisseurs.

Dans une note publiée le 18 mai, l’AMF invitait les investisseurs canadiens à se méfier d’Impero Solutions car « les recours contre ces sociétés et leurs dirigeants sont limités lorsqu’ils opèrent de l’étranger ».

Son porte-parole, Sylvain Théberge, détaille :

Nous avons reçu des informations selon lesquelles cette entreprise sollicitait des investisseurs au Québec et ce, sans être inscrite auprès de l’Autorité [des marchés financiers du Québec] à titre de courtier en valeurs mobilières tel que notre réglementation l’oblige. Cette entreprise agissait donc illégalement.

Le fait que l’entreprise ait été inscrite au registre des sociétés par actions de régime fédéral du Canada ne garantissait aucunement la légalité de ses agissements. De notre côté, l’Autorité des marchés financiers n’a juridiction [qu’au Québec] et ne représente que le Québec, et notre travail n’a aucun lien avec ce registre.

Nous sommes ici devant un stratagème classique de fraude et l’argent a probablement déjà été dilapidé. Le message le plus important est qu’avant d’investir dans une entreprise qui offre des perspectives très alléchantes, il faut faire des recherches et surtout contacter le régulateur.

Du côté de Corporations Canada, le site du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada sur lequel Impero Solutions était enregistré, on explique que la société avait suivi la démarche classique pour constituer une société par actions : un processus en quatre étapes sur son site Internet nécessitant par exemple le renseignement d’une adresse postale, d’informations sur les statuts constitutifs… et surtout, le paiement de 200 dollars canadiens permettant à l’entreprise d’être inscrite sur le registre.

La porte-parole du ministère, Sophy Lambert-Racine, refuse de reconnaître une faille et explique que les procédures ont été respectées :

La base de données de Corporations Canada comprend toutes les sociétés constituées de manière conforme et légale sous le régime fédéral. Corporations Canada s’assure que chacune des demandes soumises répond aux exigences de la loi. L’organisation revoit ses processus régulièrement pour améliorer la détection, identifier les risques et réagir rapidement en cas de fraude présumée.

Par ailleurs, Corporations Canada affirme avoir pris les dispositions pour avertir de l’arnaque, notamment via un avis sur son site internet début juin, soit un peu plus d’une semaine après la fermeture du site d’Impero Solutions :

Impero Solutions Limited utilisait l’en-tête de Corporations Canada sans autorisation dans ses contrats avec des clients potentiels. Cet avis mentionne également que Corporations Canada ne cautionne aucun type de contrat avec des tiers et ne garantit pas les activités des tiers.

Nous encourageons toute personne victime de fraude à transmettre ses renseignements au service de police local ou à la Gendarmerie royale du Canada, et également à faire un signalement auprès du Centre antifraude du Canada.

L’agence a publié un exemple de contrat dans lequel l’entreprise avait faussement déclaré : « Le gouvernement du Canada agira en tant que garant de l’entreprise et est entièrement responsable des opérations d’Impero Solutions Ltd ».

Autres types de documents distribués par Impero Solutions à ses clients utilisant illicitement le logo de Canada Corporations. © Site Impero Solutions

Si les raisons exactes ayant permis à Impero Solutions d’organiser sa fraude n’ont pas été reconnues par les administrations canadiennes, elles pourraient révéler cependant une faille dans les réglementations entre les niveaux fédéral et provincial, déjà pointés du doigt par de nombreux experts. 

Un des cas documentés les plus célèbres concerne la réglementation des valeurs mobilières au Canada : en 2009, un panel d’expert a notamment expliqué que cette réglementation était « inefficace », car chaque juridiction au niveau provincial « consacre un niveau différent de ressources à la réglementation des valeurs mobilières ». Le panel avait affirmé également que cette situation entraînait « des efforts dupliqués, des coûts inutiles, des sureffectifs et des retards » dans l’application des lois, tout en protégeant de façon inégales les consommateurs canadiens selon leur province d’origine. 

Pour Jean, victime de l’arnaque, cette inscription sur un registre officiel est directement à l’origine de l’escroquerie : 

Je suis très en colère contre le gouvernement canadien qui a donné l’autorisation à cette entreprise sans vraiment la contrôler. Cela nous a donné de la confiance, et c’est par rapport à cela que nous avons décidé d’investir. On se sent trahi, et on ne comprend pas comment le gouvernement du Canada a pu valider une telle entreprise. Nous avons constitué un collectif de victimes à notre petit niveau, et nous souhaiterions trouver un avocat qui pourrait nous aider pour obtenir gain de cause et retrouver notre argent.

De nouvelles arnaques à venir sur le même modèle ?

Les investigations sur les traces numériques laissées par Impero Solutions et analysées par la rédaction des Observateurs de France 24 n’ont pas révélé qui pourrait être derrière ces sites. Selon le Journal de Montréal, la société Impero Solutions opérait également sous d’autres noms comme « Mirollex » et « Onward Capital », qui ont tous cessé de fonctionner le 21 mai. 

Ils étaient enregistrés chez NameCheap, un registre de noms de domaine situé en Arizona, aux États-Unis, et hébergé chez OVHCloud, une entreprise française. Aucun mandat n’a pour l’instant été lancé par la police canadienne pour récupérer les données concernant cette entreprise, selon les différents organismes canadiens contactés par France 24.

En revanche, des indices indiquant que cette arnaque pourrait se répéter ont pu être repérés : un site internet baptisée Itron.work présente des similitudes troublantes avec le site Impero Solutions, en particulier la même adresse email, numéro de téléphone et adresse postale associés à Impero Solutions.

iTRON.work, le futur Impero ?

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Ce site semblait pour autant ne plus être accessible depuis le 27 juillet et son URL renvoie dorénavant vers une page d’erreur.

Source

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