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La Sud-Africaine Caster Semenya lors des séries du 800 mètres féminin aux Jeux olympiques de Londres, le 8 août 2012. OLIVIER MORIN / AFP
Août 2009. Aux abords du stade olympique de Berlin, une jeune femme semble perdue. On la sent même apeurée. Tous les projecteurs sont braqués sur elle : à seulement 18 ans, Caster Semenya vient de remporter le 800 mètres des prestigieux Championnats du monde d’athlétisme.
Mais sa réserve craintive ne tient pas à cette victoire inattendue. Elle s’explique par le regard déconcerté, voire suspicieux, que posent sur la demoiselle d’Afrique du Sud certains officiels, journalistes et anonymes qui la dévisagent comme une bête curieuse.
Que reproche-t-on à Caster Semenya ? D’avoir signé la meilleure performance de l’année (1’55’’45) quand quelques mois plus tôt, elle parcourait péniblement cette distance en 2’11’’98 ? D’avoir surclassé la tenante du titre, la Kenyane Janeth Jepkosgei, arrivée deux secondes après elle ? De s’être dopée ?
Non. Juste de ne pas être assez… féminine, avec sa voix chaude, son duvet et ses muscles hors normes, comparés au physique maigrelet de ses adversaires.
« Athlète atteinte d’hyperandrogénie »
La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) confesse avoir « un doute visuel » : et si cette nouvelle pépite des pistes était en réalité un homme ? Ou alors un hermaphrodite ? Pour balayer ces doutes, l’instance dirigeante a ordonné de réaliser des tests de féminité. Elle nomme dans la foulée un groupe d’experts pour enquêter sur le genre de la prodige.
Ces décisions scandalisent l’Afrique du Sud. Son président Jacob Zuma dénonce « l’humiliation » dont est victime Caster Semenya. Pendant près d’un an, elle ne peut prendre part aux compétitions.
Elle est désormais présentée comme une « athlète atteinte d’hyperandrogénie » : son corps produit naturellement une quantité élevée d’hormones mâles. Aux Jeux de Londres en 2012, la championne a l’occasion de se venger de ces vexations en allant chercher un titre olympique. Pour lui manifester son soutien et sa fierté, la délégation sud-africaine fait de Caster Semenya la porte-drapeau de son pays lors de la cérémonie d’ouverture.
Mais la finale du 800 mètres ne va pas se dérouler comme prévu : après un départ poussif, la jeune femme passe une grande partie de la course en dernière position avant d’accélérer à 200 mètres de l’arrivée. Après avoir doublé six rivales, Caster Semenya termine deuxième, loin derrière la Russe Mariya Savinova.
Deux médailles d’or olympiques
Sa féminité, pourtant reconnue, et son taux de testostérone plus élevé que la moyenne continuent de poser problème. La controverse sur son sexe s’éternise. Caster Semenya préfère s’entraîner que d’alimenter les polémiques. Aux Jeux de Rio, en 2016, la Sud-Africaine conquiert enfin l’or en écrasant la finale. L’année suivante, elle apprend que son ancienne concurrente Mariya Savinova est suspendue pour dopage : la Russe perd alors son titre olympique obtenu à Londres, qui revient à la jeune coureuse.
Après avoir combattu sur les tartans, contre les chronos, ses adversaires et les préjugés, Caster Semenya doit affronter, devant les tribunaux, l’IAAF. En 2018, la Fédération internationale d’athlétisme durcit son règlement concernant les sportives hyperandrogènes. Celui-ci impose de suivre un traitement pour faire baisser artificiellement leur taux de testostérone – en prenant des pilules contraceptives quotidiennement, en s’injectant un produit bloquant les hormones ou en subissant une intervention chirurgicale – avant de pouvoir participer à toute compétition internationale.
Cette disposition concerne uniquement les distances du 400 mètres au mile (1 609 mètres). « Pourquoi je prendrai de la drogue ?, riposte-t-elle avec ironie. Je suis une pure athlète. Je ne triche pas. Ils devraient se concentrer sur le dopage, pas sur nous. »
Pas de JO à Tokyo
Quoi qu’il en soit, cette décision empêche la double championne olympique et triple médaillée d’or aux Mondiaux d’athlétisme, désormais âgée de 30 ans, de participer cette année au 800 mètres des Jeux de Tokyo et de défendre sa couronne. Elle n’a pas l’attention de se laisser faire et multiplie les recours juridiques.
Malheureusement pour elle, le Tribunal arbitral du sport (TAS), situé à Lausanne, valide la nouvelle réglementation de l’IAAF (appelée aujourd’hui World Athletics). Au nom de « l’équité sportive », la Cour suprême suisse a confirmé la décision du TAS. Mais le 19 février, Caster Semenya a saisi la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.
« Tout ce que nous voulons, c’est être autorisé une fois pour toutes à courir librement, comme les femmes fortes et courageuses que nous sommes et avons toujours été », a-t-elle expliqué dans un communiqué.
Privée de sa distance fétiche, Caster Semenya a tout de même tenté de se qualifier aux Jeux de Tokyo en s’alignant sur le 200 mètres puis sur le 5 000 mètres. Mais elle n’a pas atteint les minima.
Sommaire de notre série « Ces Africains qui ont fait les JO »
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