Publié le : 28/07/2021 – 09:42Modifié le : 28/07/2021 – 09:55
Officiellement privée de JO en raison d’une affaire de dopage institutionnalisé, la Russie fait campagne autour de ses athlètes présents à Tokyo sous bannière neutre, et en profite pour se poser en victime d’une décision disproportionnée.
Ça a la couleur de la Russie, le goût de la Russie… mais ce n’est pas officiellement la Russie. Aux JO de Tokyo, la délégation russe, forte de 335 sportifs, n’est pas autorisée à concourir sous ses couleurs officielles mais sous celles du « ROC » (pour comité olympique russe). Ce qui n’empêche pas les athlètes de triompher, comme mardi 27 juillet, lors du concours général par équipes de gymnastique chez les femmes. Ni le pouvoir russe de communiquer autour de ses sportifs, reprenant le hashtag #WewillROCyou, en référence à la chanson de Queen.
Depuis 2015, la Russie est engluée dans une colossale affaire de triche sportive aux multiples rebondissements. Depuis, la nation a été suspendue pour une durée de quatre ans des grandes compétitions internationales par l’Agence mondiale antidopage (AMA), sanction ramenée fin 2020 à deux ans par le Tribunal arbitral du sport (TAS) malgré des voix réclamant l’exclusion pure et simple des Russes.
Jusqu’en décembre 2022, seront donc bannis l’hymne, le drapeau et jusqu’au nom de la Russie.
Couleurs russes et Tchaïkovski
Une situation embarrassante que les autorités cherchent à contourner. Pour Tokyo, le comité olympique et les russes ont négocié un compromis. Les athlètes ont obtenu le droit d’arborer le symbole du ROC, une flamme olympique aux bandes blanches, bleues et rouges, les couleurs du drapeau national.
L’hymne national a été remplacé par une œuvre du compositeur russe Tchaïkovski et la tenue officielle sera aux couleurs de la Russie.
En revanche, l’équipe de natation synchronisée s’est vu refuser d’arborer un ours sur son maillot de bain. Un symbole beaucoup trop associé à la Russie, selon le CIO.
Si les sportifs russes sont bien de la partie, la décision de suspension est dénoncée comme « injuste pour nos sportifs » et « excessive » pour Stanislav Pozdniakov, le patron du ROC. « La génération actuelle de sportifs russes (…) n’a rien à voir avec des accusations qui remontent à 2015. » L’arrivée de cet ancien escrimeur, quadruple champion olympique, à la tête du ROC montrait une volonté de rompre avec le passé. Tout comme les investissements massifs déclarés dans l’agence antidopage Rusada.
En Russie, l’humiliation ne passe pas
La position, selon laquelle les sportifs propres payent pour les dérives de leurs aînés, est celle de la Russie depuis les premières révélations de l’AMA. Les responsables russes, Vladimir Poutine en tête, dénoncent un complot occidental, visant à humilier et éliminer un concurrent sportif et géopolitique.
« Toutes ces humiliations de l’AMA, ces interdictions constantes et ces restrictions ne feront que nous donner de l’énergie » a lancé, le 18 juillet, Tina Kandelaki, productrice de Match TV, principale chaîne de télévision sportive du pays et proche du pouvoir. Elle a appelé ses abonnés et les athlètes à poster le hashtag #WewillROCyou sur les réseaux sociaux.
La campagne a très vite été relayée par le pouvoir russe. Les chaînes de télévision d’État, des artistes et influenceurs proches du pouvoir ou encore le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en ont fait la promotion. Elle s’est aussi invitée dans les rues de la capitale, à l’image de cette immense fresque représentant un judoka russe qui retourne d’un majestueux « Uchi-Mata » un adversaire au kimono marqué de l’acronyme de l’Agence mondiale antidopage (AMA).
Pour Lukas Aubin, chercheur en géopolitique et auteur de « La sportokratura sous Vladimir Poutine », cette campagne à quatre objectifs pour le pouvoir russe : « Encourager les athlètes russes, cristalliser le sentiment patriotique autour de l’équipe olympique russe, relever la tête dans un contexte humiliant, politiser l’événement tout en le dépolitisant », dans un paradoxe très russe.
En effet, Vladimir Poutine n’a de cesse de répéter que les compétitions sportives ne sont pas le lieu pour l’expression de messages politiques, alors que la Russie elle-même s’en sert comme un outil de soft-power.
4/7
– encourager les athlètes russes
– cristalliser le sentiment patriotique autour de l’équipe olympique russe
– relever la tête dans un contexte humiliant
– politiser l’événement tout en le dépolitisant (paradoxal mais assez courant dans la Russie de Poutine) pic.twitter.com/WJNEU9KLXn
— Lukas Aubin (@LukasAubin) July 27, 2021
Une communication contrôlée
Un paradoxe illustré à merveille par les éléments de langage distribués aux athlètes russes en amont de la compétition pour gérer les interviews avec la presse. En cas de question sur le mouvement « Black Lives Matter », les Russes sont appelés à répondre que soutenir le mouvement est un choix personnel, mais que « les Jeux olympiques ne devraient en aucun cas devenir une plate-forme pour toutes sortes de manifestations ou de gestes politiques ». Le tout alors que le comité olympique russe a fait le forcing pour que la délégation sous bannière neutre conserve ses symboles… politisant le sujet.
En revanche, concernant la délicate question du dopage, les sportifs sont appelés à rétorquer qu’ils n’ont aucune déclaration à faire sur le sujet. Un « no comment » beaucoup plus diplomatique que la provocatrice vidéo de Maria Zakharova. Postée le 25 juillet, on y voit la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères en train de boxer un mannequin siglé « presse »…
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