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Au Cameroun, l’achat de quatre films locaux par Netflix redonne espoir au secteur du cinéma

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L’affiche du film « The Fisherman’s Diary » choisi pour faire partie du catalogue de Netflix. DR

Naomi est concentrée. Voilà deux heures qu’elle noircit des pages en écoutant religieusement René Etta Tabot. La jeune étudiante en arts visuels n’aurait manqué « pour rien au monde » la masterclasse animée par le multiprimé directeur de la photographie, à l’occasion du Festival international du film camerounais organisé du 19 au 24 avril à Buéa, capitale du Sud-Ouest, l’une des deux régions anglophones du Cameroun plongées dans une guerre civile depuis quatre ans. Comme elle, ils sont plus d’une dizaine à avoir bravé la peur pour rencontrer leur « idole » et « profiter de son immense savoir ».

« Je suis passionné de cinématographie. Je suis là pour apprendre comment tourner de bons films, comment prendre de bons plans », chuchote Giscard, un autre étudiant. Dans l’assemblée, beaucoup se disent « décidés à aller au bout de [leur] rêve » de cinéaste. Une détermination renforcée par les récents succès du cinéma local : depuis mars, Netflix a acquis les droits de diffusion de quatre films camerounais. Une première dans l’histoire de ce pays d’Afrique centrale de plus de 25 millions d’habitants.

René Etta Tabot a officié comme directeur de la photographie dans Therapy (2019), qui raconte un couple au bord de la dépression, et The Fisherman’s Diary (2020), inspiré de l’histoire de Malala Yousafzai, militante pakistanaise des droits de la femme et Prix Nobel de la paix 2014, tous deux choisis pour faire partie du catalogue du géant du streaming.

Pour cet homme affable de 41 ans, ces acquisitions prouvent aux jeunes comme Giscard et Naomi qu’il y a « une possibilité de gagner sa vie » dans le cinéma quand de nombreux parents tentent de dissuader leurs enfants de choisir cette voie.

La résistance des réalisateurs

Même si elles ne sont pas nombreuses, des œuvres camerounaises ont été sélectionnées ou primées au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), considéré par beaucoup comme le plus grand d’Afrique. En 1976, Muna Moto de Jean-Pierre Dikongué Pipa remportait l’Etalon de Yennenga, la plus prestigieuse récompense de ce festival. Suivent en 1997, 2005 et 2009, le prix du meilleur son, l’Etalon d’argent ou encore le Poulain de bronze pour d’autres réalisateurs.

The Fisherman’s Diary, qui raconte le combat d’une jeune fille issue d’un village de pêcheurs hostiles à l’éducation, a été présélectionné aux Oscars 2021. C’est la deuxième fois seulement pour un film camerounais en l’espace de quarante et un ans. L’œuvre du producteur Kang Quintus a également glané une dizaine de prix en Inde ou au Ghana depuis sa sortie, bien avant l’acquisition des droits de diffusion par Netflix.

« Ce qui fait la différence dans ces films, c’est la technique et la manière dont les histoires sont racontées », assure Waa Nkeng Musi, qui confirme « un énorme progrès des films camerounais en termes de qualité comme de quantité ». Le président et fondateur de Collywood, l’industrie camerounaise du film (Cameroon Film Industry), créée en 2008 et qui regroupe plus de 1 000 membres (réalisateurs, producteurs, acteurs…) précise qu’au moins une douzaine de films sont produits chaque année au Cameroun. La majorité vient du Sud-Ouest et Nord-Ouest, les deux régions anglophones. Plusieurs films ont ainsi été achetés par des chaînes étrangères ou des compagnies aériennes internationales.

Mais depuis cinq ans, la production a diminué du fait de la guerre civile en cours dans cette partie du pays et de la survenue en 2020 du Covid-19. Malgré ces freins et le manque de financement qui affecte toute l’industrie, les réalisateurs francophones et anglophones résistent.

Le défi des financements

« On le fait d’abord par passion. On travaille ensemble comme une famille. Malgré toutes les difficultés, on avance. On fait des erreurs, mais on apprend sur le plan technique et artistique », résume Jeffrey Epule, acteur depuis onze ans et dont le dernier film, Little Sam Big Sam, qui raconte le quotidien d’un médecin, a été élu parmi les meilleurs du mois de mars en Suède.

« Cet intérêt de Netflix pour notre cinéma, c’est une incitation à travailler encore plus, à s’améliorer en permanence et à viser l’excellence », renchérit Prince Sube, acteur de The Fisherman’s Diary. « La démarche Netflix va obliger les cinéastes à relever les standards de leurs films », abonde Claye Edou, directeur du studio Cledley Productions et réalisateur de Minga et la cuillère cassée, le tout premier film d’animation 100 % camerounais.

Le défi reste de trouver des financements dans un pays où le secteur est sinistré. Dans les années 2000, les dernières salles de cinéma ont fermé, notamment après l’apparition des CD et DVD. L’ouverture en 2017 de deux salles par Vivendi, groupe détenu par Bolloré, à Douala et Yaoundé, les principales villes du pays, et la réouverture en 2018 du cinéma L’Eden à Douala « n’ont pas vraiment amélioré la situation », explique un réalisateur et producteur qui a requis l’anonymat. Pour cet homme qui navigue dans l’industrie cinématographique depuis plus d’un quart de siècle, « l’Etat a fui ses responsabilités et abandonné le cinéma ».

En 1973, le gouvernement avait créé le Fonds du développement de l’industrie cinématographique (Fodic). Gangrené notamment par la corruption, il n’a pas fait long feu. La CRTV, la télévision d’Etat, qui achète certains films ou séries locaux, « met du temps à nous payer. C’est un manque à gagner, car nos créanciers doublent les intérêts et, à la fin, il ne nous reste rien », ajoute le réalisateur.

Certains tentent de trouver des financements à l’international. D’autres diffusent leurs œuvres sur des chaînes de télévision locales, sans « réelle contrepartie ». Les « plus chanceux » les projettent sur les chaînes internationales.

D’après le producteur, « l’appétit » de Netflix pour le Cameroun peut « tout changer », à condition que l’Etat accepte « enfin de sauver le septième art et de promouvoir son image à l’international ».

« Et pourquoi pas impliquer les Camerounais en organisant des campagnes de crowdfunding autour d’un projet ? », s’interroge ce jury et co-organisateur de festivals : « On est un pays bilingue avec l’anglais et le français comme langues officielles. C’est un gros avantage qui peut nous ouvrir les portes du cinéma africain et mondial. A condition qu’on y mette des moyens et qu’on crée une plate-forme de vente unique et nationale » de tous les films produits.

Cinémas d’Afrique

Le Monde Afrique et ses correspondants sont allés à la rencontre des cinémas d’Afrique. Ceux d’un âge d’or perdu comme en Côte d’Ivoire ou en Algérie où, il y a quelques décennies, on se pressait dans les salles obscures pour découvrir les derniers films d’action ou redécouvrir les classiques de la création nationale.

« Les cinémas n’ont pas survécu au passage de l’analogique au numérique » du début des années 2000, regrette le critique de cinéma ivoirien Yacouba Sangaré. Là comme ailleurs, le septième art a dû prendre des chemins de traverse pour continuer à atteindre son public. Les vidéoclubs – des cassettes VHS aux DVD – ont nourri une génération de cinéphiles.

Certains aujourd’hui tentent de faire revivre des salles mythiques et leur programmation exigeante, comme au Maroc ou au Burkina Faso. D’autres voient dans les séries un nouveau mode de création fertile. Des passionnés de la cinémathèque de Tanger au cinéma conservateur de Kannywood, dans le nord du Nigeria, ils font le cinéma africain d’aujourd’hui.

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