Editorial. Décidément, Joe Biden persiste à démentir ceux qui voyaient dans son élection l’annonce d’un troisième mandat Obama. L’élève a dépassé le maître : la dernière initiative de la Maison Blanche visant à rétablir la concurrence dans un capitalisme américain dévoyé par la concentration d’entreprises géantes confirme une audace dont le tandem démocrate Obama-Biden n’avait pas fait preuve en huit ans.
Il s’agit, a expliqué le président en signant le décret, vendredi 9 juillet, d’assainir un système économique dont l’évolution, depuis deux décennies, a fini par pénaliser les consommateurs. « Le capitalisme sans concurrence, ce n’est plus le capitalisme, c’est l’exploitation, a-t-il dit. Les gros acteurs vous font payer ce qu’ils veulent, changent ce qu’ils veulent et vous traitent comme ils veulent. » Le décret Biden, qui comporte 72 mesures spécifiques, donne la consigne aux autorités fédérales de régulation de promouvoir la concurrence dans leur secteur ; il concerne aussi bien les pratiques des compagnies aériennes que celles des opticiens et appareilleurs auditifs, celles des télécoms comme celles des fabricants de couches-culottes. Le test réside évidemment dans la mise en œuvre du décret.
On s’attendait à une offensive contre la toute-puissance des géants de la tech : M. Biden va plus loin, en s’attaquant aux excès de la concentration dans l’ensemble de l’économie. La nomination de Lina Khan, juriste de 32 ans connue pour ses travaux sur l’antitrust, à la tête de la FTC, la Commission fédérale de la concurrence, était déjà un signe. Le président démocrate de 78 ans s’est entouré d’une équipe jeune à même de mener une offensive sur la régulation de l’économie, qu’il veut plus juste pour les consommateurs. C’est aussi dans cette démarche que s’inscrit son initiative sur la taxation des multinationales. Sur le plan politique, Joe Biden fait d’une pierre deux coups : il donne des gages à la gauche de son parti et il prend à revers le populisme de Donald Trump en se posant en défenseur des travailleurs.
Influence politique
Le déclin de la concurrence dans l’économie américaine fait l’objet d’intenses débats dans les cercles académiques. Le décret Biden recoupe le constat de l’économiste français Thomas Philippon, de l’université de New York, qui, dans son livre The Great Reversal (« Le grand revirement », 2019, non traduit), explique comment les Etats-Unis ont fini par abandonner le credo de la libre concurrence. Jusqu’à la fin des années 1990, la compétition, parfois féroce, s’exerçait au profit du consommateur, qui en recueillait les fruits sous la forme d’une baisse des prix ou d’une augmentation du niveau de service.
Mais, au fil du temps, les groupes les plus puissants ont atteint une profitabilité et une situation de position dominante telles qu’ils se sont constitués en lobbys, influençant le pouvoir politique et barrant la route aux nouveaux entrants sur le marché. La législation antitrust a été vidée de sa substance. Le pouvoir d’achat du consommateur a chuté à mesure que les tarifs aériens et téléphoniques explosaient.
L’Union européenne a, elle, fait le chemin inverse : les autorités de la concurrence mises en place au niveau de la Commission n’ont cessé, ces dernières années, d’affirmer leur puissance face aux Etats membres, afin de préserver une économie ouverte et compétitive pour protéger le consommateur. L’administration Biden, finalement, s’européanise de plus en plus. Encore un effort : peut-être ouvrira-t-il un jour le marché américain à la concurrence européenne ?
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