Pour la troisième édition de suite, Netflix est absent du plus grand festival de cinéma au monde. Alors que les plateformes numériques ont vu leurs résultats s’envoler avec la pandémie, il semble plus urgent que les deux parties trouvent un terrain d’entente.
Quand Bong Joon-ho a présenté sa comédie noire « Parasite » au Festival de Cannes en 2019, ce réalisateur confirmé a manifesté son inquiétude sur le fait que le film soit « trop sud-coréen » pour le public . Il n’aurait pas dû s’inquiéter. Le film a été adulé par le public et la critique, décrochant même la première Palme d’Or pour la Corée du Sud. Il s’est transformé en succès mondial, avec plus de 250 millions d’euros de recettes à la clef, allant même jusqu’à rafler l’Oscar du meilleur film en 2020, une première pour un film non-anglophone.
Il est difficile d’imaginer que « Parasite » aurait pu connaître une telle trajectoire sans le tremplin cannois. Le festival à paillettes accueille le plus grand marché mondial du film et reste le plus coté. L’an dernier, plusieurs auteurs ont choisi de présenter leurs films dans la programmation de Cannes 2020, en sachant que le festival était annulé à cause de la pandémie, plutôt que de se rendre à Venise. D’autres ont attendu plus d’un an pour présenter leur travail, dans l’espoir de venir cet été sur la Côte d’Azur.
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Une fois de plus, la plateforme Netflix n’apparaît pas dans la sélection de films de Thierry Frémaux, délégué général du Festival. Pourtant, on ne parle que d’elle, et ce d’autant plus que la pandémie a accéléré les profondes transformations en cours dans l’industrie du cinéma, qui voit la position des plateformes numériques se renforcer.
Le fiasco de la projection du film « Okja »
Cannes et Netflix sont en désaccord depuis 2017, lorsque le festival a provoqué une crise très française en incluant le film « Okja », un long-métrage de Bong Joon-ho produit par Netflix, dans la course à la Palme d’Or. Une décision alors vivement critiquée par celles et ceux qui considèrent Cannes comme le gardien du grand écran face à la menace mortelle Netflix.
Pour endiguer cette fureur, Cannes avait demandé à Netflix d’autoriser la protection de ses productions sur grand écran, là où les films sont censés être montrés. Mais la projection cannoise du film « Okja » a viré au fiasco. Alors que le rideau n’était que partiellement levé en raison d’un problème technique, l’apparition sur l’écran du visage de l’actrice Tilda Swinton avait déclenché un brouhaha. La séance avait été interrompue pendant dix minutes dans le Grand Théâtre Lumière, véritable sanctuaire du cinéma.
L’année suivante, Cannes a expliqué à Netflix que son invitation au festival était conditionnée au respect des règles de distribution en France. Et face à son refus, les organisateurs ont proposé une présence hors compétition, également déclinée par la plateforme. Elle a alors emmené « Roma » d’Alfonso Cuaron, laurat de l’Oscar du meilleur film en 2014 avec « Gravity », chez le plus ancien rival de Cannes, le festival de Venise, qui n’a rien contre les streamers. Et « Roma » y a décroché le Lion d’Or, le premier grand succès de Netflix dans un festival de cinéma de renom.
La position affirmée de Cannes
Interrogé à ce sujet cette semaine, Thierry Frémaux s’en est pris aux autres festivals. Il a expliqué que certains avaient trop rapidement autorisé en compétition des films des géants du streaming, sans demander une projection en salle. Selon lui, cela a globalement nui au cinéma.
« Non seulement 2019 a été une grande année de cinéma, mais 2020 a été l’année la plus catastrophique de l’histoire pour le cinéma », a déclaré Thierry Frémaux à la presse. S’il a admis que la crise sanitaire avait permis aux plateformes de remporter un « triomphe mérité », le délégué général a toutefois déploré que cela se soit fait à un moment où l’industrie du cinéma ne pouvait pas se défendre.
« Certains festivals sont les premiers à ouvrir leurs portes un peu trop librement à des gens dont on n’est pas sûr qu’ils souhaitent que le cinéma survive », a ajouté Thierry Frémaux. Et le délégué du festival de citer « un désaccord » avec ces entreprises. « Ils font travailler des gens de cinéma mais donnez-moi un nom de jeune réalisateur qu’ils ont découvert ? Notre mission à nous est de faire émerger des jeunes talents ».
Le positionnement affirmé de Cannes suscite du respect chez de nombreux amoureux du 7e art, particulièrement la France qui couve son industrie cinématographique et raffole de ses nombreuses salles de cinéma.
« Cannes a adopté une position courageuse qui est cohérente avec sa propre définition de ce qu’est un film de cinéma, par opposition avec un film pour la télévision », explique à France 24 la réalisatrice et scénariste Nathalie Marchak.
L’impasse actuelle coûte cependant cher à Cannes et à Netflix. Le plus grand festival du film a probablement du mal à devoir se priver de films distribués par Netflix, comme par exemple du long-métrage « Le Pouvoir du chien » de Jane Campion, lauréate de la Palme d’Or en 1993 avec « La leçon de piano ». À l’inverse, le prestige inégalé de Cannes et l’exposition médiatique qu’offre ce festival font cruellement défaut au géant du streaming.
Ce sont les réalisateurs et les producteurs qui en font vraiment les frais. « Il est bien sûr injuste que des films achetés par les plateformes numériques ne puissent pas sortir en salles », estime Marchak. « Il y a des films merveilleux qui ne se retrouvent que sur les plateformes et on ne peut pas en vouloir aux producteurs de faire ce choix ».
Laisser le choix aux spectateurs
La décision des spectateurs entre, elle aussi, en ligne de compte. Selon le réalisateur Mark Cousins, l’industrie cinématographique devrait leur laisser la possibilité de choisir entre le petit et le grand écran
Dix ans après avoir réalisé une épique série documentaire de 15 heures « The Story of Film : An Odyssey » sur l’histoire et l’évolution du cinéma, Cousins est revenu cette semaine à Cannes avec une intrigante suite qui analyse les productions du XXIe siècle. Créée pendant le confinement, « The Story of Film : A New Generation » décortique plus de 90 films qui font évoluer cet art dans de nouvelles directions.
« Si les gens veulent rester chez eux, surtout ceux qui ont des enfants, en mangeant de la pizza ou autre chose qu’ils aiment, ça me va très bien, je le fais aussi. Mais ceux qui veulent voir un film sur grand écran doivent aussi avoir la possibilité de le faire », explique Cousins. Pour ce réalisateur né à Dublin et installé à Édimbourg, la France devrait être fière de son cinéma solide et elle a le droit de défendre cette composante tellement prisée de sa culture.
« Si vous avez en France un public qui veut voir du cinéma sublime, épique, alors ‘bravo ‘ et pourvu que cela dure longtemps », explique-t-il. “Cela nuit au cinéma seulement si les grands films disposent d’un seul canal pour toucher leurs spectateurs. Les cinémas ont raison de dire que cela leur fait du mal. Ils ont raison car ce n’est pas nécessaire. Les gens devraient pouvoir choisir. » Cousins juge également nécessaire de reconnaître la qualité des productions de Netflix, qui propose « beaucoup de bonnes choses ». Il en appelle au compromis et regrette le tour machiste de cette dispute entre Cannes et Netflix. « Ils devraient s’embrasser et se réconcilier. »
Ce point de vue est partagé par le président du jury cannois, le réalisateur américain Spike Lee, qui a fait « Da 5 Bloods » l’année dernière pour Netflix. Selon lui, « Le cinéma et les plateformes peuvent coexister. À une époque, on pensait que la télévision allait tuer le cinéma. Ce n’est donc pas nouveau ».
Cet article a été traduit de l’anglais, cliquez ici pour le lire en version originale
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