Editorial du « Monde ». Le crime était son univers, qu’il explorait avec obstination depuis des décennies. Le journaliste néerlandais Peter de Vries, 64 ans, a payé cher cet engagement : trois jours après avoir été atteint d’une balle dans la tête, mercredi 7 juillet, à Amsterdam, il était toujours, samedi, entre la vie et la mort, et son pays est sous le choc.
Cette tentative d’assassinat a rappelé aux Néerlandais les heures sombres des meurtres de l’homme politique anti-immigration Pim Fortuyn, en 2002, et de Theo Van Gogh, réalisateur critique de l’islam, en 2004. Cette fois, la cible n’est plus ouvertement politique, mais son choix a été perçu comme un avertissement dans un pays où la liberté de la presse est une valeur unanimement respectée. Le roi, Willem-Alexander, le premier ministre, Mark Rutte, et le ministre de la justice, Ferdinand Grapperhaus, ne s’y sont pas trompés, qui ont dénoncé une attaque contre le cœur du système démocratique. Mais c’est aussi la stratégie de lutte du gouvernement contre le trafic de drogue qui se trouve mise en cause.
Très connu du grand public, Peter de Vries avait fait sa spécialité des « cold cases », ces affaires criminelles classées, et donc condamnées à ne jamais être élucidées. Lui-même ancien policier, il en avait résolu trois et travaillait sur une quatrième, pour laquelle il avait lancé un appel de fonds auprès du public. Inévitablement, ces enquêtes l’ont mené au plus près des mafias.
Ramifications mondiales
Les Pays-Bas sont connus pour leurs coffee-shops et leur politique libérale sur la consommation du cannabis. Cette tolérance est aujourd’hui critiquée, voire assimilée à de la naïveté, pour ne pas avoir pris en compte la question de la fourniture aux points de vente, qui a permis à différentes organisations de s’enrichir et de construire des empires aux ramifications mondiales, orchestrant le trafic de cocaïne depuis les ports de Rotterdam et d’Anvers. Le chef marocain d’une de ces mafias, Ridouan Taghi, arrêté à Dubaï en 2019, est actuellement jugé, avec seize autres prévenus, pour six meurtres et tentatives de meurtre.
Les Pays-Bas sont aussi devenus l’épicentre européen des drogues de synthèse, comme le crystal meth. Les récentes révélations sur les réseaux cryptés EncroChat et Sky ECC ont montré l’ampleur du rayon d’action de ces organisations, leur richesse inouïe, leur violence sans limites.
Dans un appel publié vendredi, la presse néerlandaise et plusieurs dizaines de maires ont souligné l’urgence d’une réelle mobilisation et l’engagement de moyens plus importants contre le narcotrafic. Le gouvernement de Mark Rutte promet désormais d’en faire une priorité. Il faut espérer que la tentative d’assassinat de Peter de Vries provoque l’électrochoc que, jusqu’ici, les meurtres d’un autre journaliste et de l’avocat d’un témoin-clé dans le procès d’un chef mafieux, en 2019, n’avaient pas réussi à susciter, pas plus qu’un attentat contre le quotidien De Telegraaf, en 2018.
On est, certes, loin de la tragédie du Mexique, où leurs enquêtes ont coûté la vie à quatre-vingts journalistes en dix ans ; les circonstances de l’affaire de Vries sont également différentes des assassinats de Daphne Caruana Galizia, à Malte, en 2017, et de Jan Kuciak, en Slovaquie, en 2018, qui enquêtaient sur les liens entre le pouvoir et les milieux criminels. Il reste qu’un journaliste d’investigation a de nouveau été pris pour cible en Europe, dans un pays soucieux de respecter l’Etat de droit. Cela doit inquiéter.
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