« L’éolien en mer va nous pousser dans la tombe ». Malgré des avis scientifiques plutôt rassurants, les pêcheurs côtiers s’inquiètent des projets de parcs éoliens en mer, décidés par l’Etat pour le développement des Energies marines renouvelables (EMR).
Ces dernières semaines, ils ont manifesté à Saint-Brieuc puis à Caen et à Malo-Les-Bains, près de Dunkerque. Parmi eux, certains ne sont pas directement touchés par un projet mais se sentent concernés.
« On a fait l’effort » de faire le voyage jusqu’en Bretagne fin mai pour manifester « car c’est très important (…) Il n’y a pas les Bretons d’un côté et les Méditerranéens de l’autre. La pêche artisanale, c’est un tout », explique à l’AFP Pierre Morera, président du comité départemental des pêches du Var.
Lui sort en mer chaque jour, seul sur son bateau de neuf mètres. « L’éolien en mer va nous pousser dans la tombe », prédit-il, persuadé que ses côtes, un jour ou l’autre, seront aussi ciblées.
Car ces implantations industrielles sont édifiées à proximité ou dans le champ d’activité de ces pêcheurs côtiers qui voient l’environnement, jusque-là préservé de leur secteur de pêche, bouleversé.
« 82% de la flotte de pêche française, ce sont des bateaux de moins de 12m avec une limite de navigation (au large des côtes) de 20 milles (soit 37 km) », explique Johnny Wahl, basé à Oléron. Dans ces secteurs, « on est sur des fonds de 50/60m, pile la zone où vont être implantés les parcs éoliens. C’est pour ça qu’on est les plus impactés », développe le vice-président du comité régional des pêches de Nouvelle Aquitaine.
L’éolien en mer, « ça veut dire qu’on privatise une zone de pêche artisanale alors que ce type de pêche est le plus durable et responsable qui soit », regrette Julien Tréhorel, installé à Erquy, en baie de Saint-Brieuc.
Ce patron-pêcheur a été condamné en mai avec deux confrères à une peine d’emprisonnement avec sursis pour violences et menaces de mort à l’encontre de gendarmes.
Dans la baie, « la ressource se porte super bien. Quand la ressource va bien, les comptes se portent bien (…) On est des pêcheurs de poissons, pas des pêcheurs de chèques », réplique-t-il en réponse aux compensations financières proposées par le constructeur du parc en baie de Saint-Brieuc, Ailes Marines (groupe espagnol Iberdrola).
– « Stress » pour certaines espèces –
« Les gens ne se rendent pas compte que ces parcs éoliens, c’est un vrai chantier sous l’eau », regrette Olivier Becquet, basé au Tréport (Seine-Maritime) et vice-président chargé de l’environnement au comité régional des pêches de Normandie.
Outre la partie émergée de chaque éolienne, généralement voisine de 200m avec les pales, la partie sous-marine, qui arrime la structure aux fonds par des socles en béton, peut atteindre jusqu’à 50m. Sept parcs sont prévus selon ces techniques, différentes de celle utilisée pour l’éolien flottant.
Des études scientifiques, incomplètes selon les pêcheurs, ont été menées avant les travaux pour évaluer leurs incidences sur l’environnement marin.
« Pendant la durée des travaux, c’est difficile à dire, l’impact est inconnu. Il peut y avoir un stress passager pour certaines espèces », estime Spyros Fifas, chercheur à l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer).
« Mais une fois le parc en activité, il n’y a pas d’impact majeur » et parfois même des effets positifs « d’agrégation » de certaines espèces sur les structures éoliennes qui font office de « récifs », dit-il, en s’appuyant sur l’expérience de pays européens, tels la Grande-Bretagne, la Belgique ou les Pays-Bas.
Ceci dit, chaque configuration de site est différente, admettent les scientifiques.
Concernant la population de coquilles Saint-Jacques en baie de Saint-Brieuc, qu’il ausculte régulièrement, le chercheur est confiant: le gisement a « fortement augmenté depuis dix ans » et l’usine en construction est située dans une zone où se concentre « une partie relativement mineure de la ressource ».
Le parc éolien de la baie de Saint-Brieuc doit être érigé à 16,3 kilomètres de la côte et compter 62 éoliennes. Sa mise en service est prévue fin 2023.
Pour Spyros Fifas, l’inquiétude des pêcheurs relève « bien plus de conflits d’ordre socio-économique d’accès à l’espace plutôt que de risques pour la ressource en tant que tels ».
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