En arrivant au bord de la rivière, Laurentine Zamblé découvre que son « coin » a été visité et exploité en son absence. Elle n’en a cure : les berges de ce cours d’eau regorgent d’or, il y en a pour tout le monde. C’est ce que lui a soufflé une amie en lui révélant l’existence de ce site à quelques dizaines de kilomètres de Bouaflé, une ville du centre de la Côte d’Ivoire.
Alors cette femme de 54 ans, un peu alourdie par l’enfant qu’elle porte dans son dos, se lance dans une chorégraphie qu’elle maîtrise à merveille. Equipée d’une simple pioche, elle se met à creuser la rocaille sableuse, puis, dans l’eau, elle tamise, lave et trie le dépôt de terre avant d’en extraire quelques minuscules paillettes d’or. Au moment de cacher son butin du jour dans le nœud de son pagne, Laurentine Zamblé lève la tête et scrute les alentours. « Ici, il y a beaucoup de vol », dit-elle pour expliquer sa prudence.
Autour d’elle, sur les deux rives, se dévoilent des dizaines d’emplacements comme le sien, où chacun creuse en espérant trouver une pépite. Chacune, plutôt, car ici il n’y a presque que des femmes. « Les hommes sont à quelques kilomètres, sur un site beaucoup plus grand », explique l’orpailleuse. En tendant l’oreille, on entend les « machines chinoises » vrombir ; celles avec lesquelles des chercheurs d’or venus du Mali, de Guinée et surtout du Burkina Faso s’adonnent à cette activité illicite mais sur un mode quasi industriel, loin de l’artisanat – tout aussi illégal – que pratiquent Laurentine Zamblé et ses compagnes.
D’ici quelques semaines, la saison des pluies remplira le lit de la rivière et rendra le site inexploitable. Elle devra aller ailleurs, comme à chaque fois, elle qui ne cesse de se déplacer de rivière en clairière à la recherche du précieux métal jaune. « C’est le seul métier que je sais faire », répète-t-elle.
Le seul aussi qui lui permet de payer la scolarité et les repas des quatre enfants dont elle s’occupe seule depuis qu’elle a été abandonnée par son mari. Si elle travaillait au marché, elle toucherait difficilement 30 000 francs CFA par mois (45 euros), estime-elle. Grâce à l’or, qu’elle vend « environ 20 000 francs CFA » le gramme, elle peut espérer gagner le double, entre 50 000 et 70 000 francs CFA selon les mois. Le tout pour un investissement qui se résume à une pioche acquise pour une poignée de francs CFA.
Noyades et violences sexuelles
Ce gain rapide et le peu de capital nécessaire au lancement expliquent la fièvre de l’or qui s’est emparée de la Côte d’Ivoire depuis près de quinze ans. Historiquement, Bouaflé est l’un des épicentres de l’exploitation aurifère, mais aujourd’hui, toutes les régions du pays sont rattrapées par ce phénomène. Son ampleur est difficilement quantifiable. En 2014, le gouvernement ivoirien estimait que 500 000 personnes travaillaient dans l’orpaillage clandestin. D’autres experts jugent aujourd’hui qu’il faut multiplier ce chiffre par deux, voire trois, en intégrant les métiers connexes des mines clandestines.
L’orpaillage industriel licite, lui aussi, se porte bien. La production nationale d’or est en augmentation : de 24,4 tonnes en 2018, elle est passée à 32,5 tonnes en 2019. Longtemps négligé, le secteur minier contribue aujourd’hui à 5 % du PIB. Les cours de l’or, en hausse ces dernières années, expliquent en bonne partie l’attrait de cette activité pour des centaines de milliers de personnes. Y compris des femmes, qui, en Afrique, constitueraient 50 % de la population opérant dans les mines ou gravitant autour des communautés minières, selon une étude de l’Institut international du développement durable, un centre de recherche basé à Genève.
Mais l’autonomie financière qu’elles acquièrent grâce au métal précieux est à relativiser à l’aune des risques, nombreux, de l’orpaillage clandestin. Lou, une « collègue » de Laurentine Zamblé, explique que les noyades sont fréquentes, car les étroites galeries creusées en bordure des rivières ont tendance à s’effondrer. Plus loin, cette mère de deux enfants, dont le premier « est avec son père à Abidjan », fait visiter son « bunker ». Un abri fait de bâches noires et de quelques planches en bois, où Lou, enceinte de son deuxième enfant, dort avec son « copain ». Cet homme rencontré sur le site, indique-t-elle, lui permet de parer au « danger » que représente sa situation de femme célibataire.
Dans cet univers rugueux, une femme est souvent « une proie », explique Hyacinthe Kouassi, un expert des industries extractives qui collabore avec des bailleurs de fonds sur les sujets miniers. Et se choisir un copain, « un tuteur », corrige-t-il, « c’est un moyen de se protéger des violences sexuelles, même si ça ne garantit rien car parfois, c’est lui qui est à l’origine des violences ». Selon Hyacinthe Kouassi, « les orpailleuses passent aussi par ces hommes pour vendre les grammes d’or aux acheteurs bord-champ et éviter de se faire trop voler ». Un concubinage de circonstance donc, et éphémère : « La plupart de ces hommes abandonnent les orpailleuses, enceintes ou avec l’enfant en bas âge, une fois le site inexploitable. »
« Soit tu vas en prison, soit tu payes »
Les mines clandestines se trouvent généralement au milieu de la brousse. Loin de la ville, la drogue et la prostitution placent les femmes dans des situations de grande précarité. Mais la plus grande crainte des orpailleuses est de tomber sur les « agents des eaux et forêts ». Des forces de sécurité qui, en plus de ponctionner une part de l’or extrait clandestinement, mènent régulièrement de fausses opérations coup de poing. « Ils nous disent : “soit tu vas en prison, soit tu payes 100 000 francs CFA” », explique Lou. A chaque fois, les femmes payent. Car auprès de qui aller se plaindre ? « Notre travail est illégal », rappellent-elles.
Christine Logbo Kossi, directrice du Groupement professionnel des miniers de Côte d’Ivoire (GPMCI), les encourage donc à s’organiser en coopératives, afin de pouvoir demander un permis d’exploitation artisanal. C’est le sens du label « Pretty Mining » qu’a lancé cette ancienne cadre de l’industrie minière, également responsable du Réseau des femmes du secteur minier de Côte d’Ivoire (Femici), qu’elle a créé en 2016.
« Les femmes doivent se structurer pour profiter de l’essor du secteur minier et permettre la traçabilité de l’or qu’elles extraient », insiste-t-elle, rappelant que tout le monde y trouverait son compte, « y compris l’Etat ». Elle s’appuie notamment sur un rapport de l’organisation African Security Sector Network qui évaluait à environ 30 tonnes d’or la production artisanale illicite qui échappe à l’Etat, et donc à ses caisses.
Aujourd’hui, trois coopératives de femmes sont accompagnées par le Femici, précise Christine Logbo Kossi, qui espère que le modèle pourra être répliqué partout « où des femmes travaillent illégalement dans les mines ». Une initiative bien accueillie par Laurentine Zamblé, à Bouaflé, qui vient de s’associer avec une dizaine d’« amies » orpailleuses pour sortir de la clandestinité et travailler plus sereinement. Une façon aussi, disent-elles, de faire taire ceux qui les accusent de se prostituer sur les lieux d’orpaillage ou affirment que la mine n’est pas un métier de femme.
L’article En Côte d’Ivoire, la vie précaire des chercheuses d’or est apparu en premier sur zimo news.