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ReportageHosni Al-Moghani, alias « Abou Salman », est le « grand mokhtar » du territoire. Un notable influent auprès du peuple, qui compense l’usure des institutions tenues par le Hamas, au sortir de la dernière guerre contre Israël.
Le temps paraît s’écouler plus lentement qu’ailleurs dans le bureau du « grand mokhtar » de Gaza. Hosni Al-Moghani, 79 ans, se tient sous une horloge à la vitre fêlée et une carte jaunie de la Palestine. En cette fin de printemps, le principal représentant des grands clans gazaouis reçoit les doléances de familles de toutes extractions, riches et humbles. Elles cherchent son aide, alors que la dernière guerre entre le Hamas et Israël s’est achevée le 21 mai, faisant 260 morts à Gaza, selon les autorités locales, et 13 en Israël.
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Cet homme de haute stature, surnommé affectueusement « Abou Salman » (« le père de Salman »), n’est pas un fonctionnaire, ni un politique, mais un intercesseur auprès du pouvoir, autrement dit les islamistes du Hamas. Ce notable est aussi un juge de paix, un conseiller conjugal, un arbitre rapide des différends commerciaux et le premier recours des familles en cas de meurtre. C’est lui qui négocie le prix du sang, lorsqu’il s’agit d’empêcher qu’un drame isolé ne dégénère en vendetta. Il maîtrise sur le bout des doigts la généalogie des familles gazaouies, l’urf (le droit coutumier) et l’art de la négociation.
Une femme, le 25 mai 2021, vient demander conseil à Al-Moghani, dans un bureau de la Haute Commission des affaires tribales. Le « mokhtar » est aussi un juge de paix, un conseiller conjugal, un arbitre des différends commerciaux. LAURENT VAN DER STOCK POUR « LE MONDE »
Abou Salman est le plus influent des quelque 1 200 mokhtars (les « choisis », en arabe), des chefs de famille fort conservateurs qui, du temps de l’Empire ottoman, représentaient déjà leurs quartiers et leurs villages auprès des fonctionnaires. Il dirige la Haute Commission des affaires tribales, et son autorité est complémentaire de celle de la justice et de la police, tenues par le Hamas. « Les islamistes s’arrogent le monopole de la violence à Gaza, mais ils ont aussi besoin des mokhtars pour maintenir la paix sociale, juge Jean-Pierre Filiu, auteur d’une Histoire de Gaza (Fayard, 2012). Ceux-ci sont efficaces et légitimes auprès du peuple, deux qualités qui manquent tant aux institutions palestiniennes. »
Sur tous les fronts
Le bureau d’Abou Salman est donc un bon endroit pour prendre le pouls de Gaza, constater dans quel état ses deux millions d’habitants sortent de ce quatrième conflit depuis quinze ans, après ceux de 2008-2009, de 2012 et de 2014. « Pendant la guerre, les problèmes disparaissent : les gens n’ont rien d’autre à faire que de prier chez eux. Aujourd’hui, tout refait surface », dit cet homme madré et fataliste. L’euphorie de la fin des bombardements est passée. Reste à assumer la survie quotidienne dans cette bande côtière soumise depuis 2007 à un blocus d’Israël et de l’Egypte.
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