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Contestation en Cisjordanie : “Une manifestation ultime de la délégitimation de Mahmoud Abbas”

Les appels au départ du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, se multiplient en Cisjordanie. Ils interviennent alors qu’une vague de manifestations secoue plusieurs villes des Territoires occupés après la mort d’un militant des droits humains, critique des dérives du pouvoir.

Les manifestations, émaillées de heurts entre protestataires et forces de l’ordre, se poursuivent en Cisjordanie occupée pour réclamer justice après la mort, le 24 juin à Ramallah, d’un célèbre militant des droits de l’homme, Nizar Banat. Le décès à 43 ans de ce critique de l’Autorité palestinienne (AP), quelques heures après son interpellation par les forces de sécurité – et après avoir été battu à mort selon sa famille – a provoqué un vent de colère d’Hébron à Ramallah, en passant par Bethléem.

Une colère accompagnée d’appels à la démission visant le président de l’AP, Mahmoud Abbas, et de slogans dénonçant la corruption au sommet du pouvoir.

« Abbas dégage », « À bas le régime militaire », « Non aux assassinats politiques »… samedi 3 juillet, des centaines de manifestants se sont rassemblés à quelques centaines de mètres de la Muqata, le palais présidentiel, protégée par une importante présence policière. Certaines routes avaient été fermées en amont pour empêcher l’arrivée de manifestants d’autres villes.

Violences contre les manifestants, arrestation d’activistes, dont le militant des droits humains basé à Hébron, Issa Amro, et intimidation de journalistes …  le pouvoir a réagi avec nervosité dès les premiers rassemblements organisés après la mort de Nizar Banat, durement réprimés par les forces de l’ordre.

« L’Autorité palestinienne ne diffère pas vraiment des régimes arabes qui répriment les voix de l’opposition et qui essayent de bâillonner les journalistes. Elle est pourtant censée être un pouvoir de libération nationale face à l’occupation israélienne, confie le journaliste palestinien Moez Hamed à France 24. Cette Autorité est en réalité un pouvoir qui craint l’opposition, toute voix qui s’élève contre elle, et les journalistes qui tentent de faire leur métier, malgré des menaces quotidiennes ».

« Au moins 12 journalistes palestiniens, dont cinq femmes, ont été agressés par la police palestinienne ce week-end en Cisjordanie », a tweeté, le 28 juin, l’organisation Reporters sans frontières (RSF).

Illégitimité politique et dérive autoritaire

Les manifestations actuelles s’inscrivent dans la continuité d’un phénomène de délégitimation de l’Autorité palestinienne en général et de son chef Mahmoud Abbas en particulier, explique Béligh Nabli, chercheur associé au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences-Po et auteur de « Géopolitique de la Méditerranée » (éd. Armand Colin).  « Il s’agit là, avec ce à quoi l’on assiste à Ramallah, de la manifestation ultime de la délégitimation de Mahmoud Abbas ».

Selon lui, le président palestinien, 86 ans, incarne une entité qui a été incapable de traduire politiquement en acte les espérances et les revendications du peuple palestinien nées à la suite des accords d’Oslo en 1993.

« Il est également frappé par une illégitimité liée au fait que son mandat de président de l’AP a expiré depuis déjà plusieurs années [2009] et qu’au lieu de renouer avec la voie démocratique, c’est-à-dire d’organiser des élections présidentielle et législatives libres et pluralistes dans les Territoires palestiniens, il a manifesté à travers différentes séquences une même volonté de neutraliser cette perspective, poursuit Béligh Nabli. Il s’agit là de la manifestation même d’une dérive autoritaire alors même que son élection et l’Autorité palestinienne elle-même illustraient une expérience tout à fait intéressante dans le monde arabe en matière de démocratisation ».

Fin avril, Mahmoud Abbas, au pouvoir depuis 2005 et affaibli par une fronde dans son propre camp, avait reporté sine die des premières élections en quinze ans dans les Territoires palestiniens. Elles avaient été annoncées début janvier dans le cadre d’un projet de « réconciliation » entre son parti laïc, le Fatah, et les islamistes du Hamas, au pouvoir à Gaza depuis 2007.

Nizar Banat, qui s’est fait connaître grâce à des vidéos postées sur les réseaux sociaux dénonçant la corruption qui gangrène l’Autorité palestinienne, était candidat sur une liste d’indépendants. Ce report des législatives a attisé la frustration d’une grande partie de la jeunesse palestinienne, qui se sent privée de leadership, et qui s’apprêtait avec enthousiasme à voter pour la première fois de sa vie.

« La population palestinienne a manifestement pris acte de cette illégitimité du président Abbas à pouvoir les représenter, et il semble que l’on assiste à sa mise hors-jeu par un peuple qui l’appelle à quitter le pouvoir », décrypte Béligh Nabli.  

Un fossé semble désormais séparer les Palestiniens de leurs dirigeants qui jouent leur survie politique. Une série de contre-manifestations de soutien au président Abbas rassemblant des centaines de personnes ont été organisées la semaine dernière en Cisjordanie.

« L’AP perçoit elle-même la population de Cisjordanie dont elle a la charge comme une menace, non pas sécuritaire, mais politique. Cette perception qui semble justifier au regard de certains dirigeants palestiniens et apparatchiks du Fatah le recours à la force pour continuer à se maintenir au pouvoir », indique Béligh Nabli.

Un pouvoir décrédibilisé « aux yeux des puissances internationales »

Alors que la famille de Nizar Banat réclame, à l’instar de l’Union européenne, une enquête internationale, les autorités palestiniennes ont annoncé la mise en place d’une commission d’enquête palestinienne, incluant des membres de la société civile.

« Nous voulons savoir ce qu’il s’est passé et qui porte la responsabilité ce qu’il s’est passé, car Nizar Banat est un citoyen palestinien et nous voulons parvenir à la vérité, a indiqué à France 24, le général Talal Dweikat, porte-parole des services de sécurité de l’Autorité palestinienne. La commission d’enquête, qui compte des personnalités neutres, devra se pencher sur toutes ces questions, et je promets au nom de l’Autorité palestinienne que nous serons transparents et que nous communiquerons les résultats de l’enquête tels quels à la population ».

« Nous n’accusons personne et nous ne protégeons personne, nous voulons que la vérité éclate », a-t-il assuré, alors que le médecin légiste chargé de l’autopsie de l’activiste a fait état de traces de coups à la tête, à la poitrine, au cou, aux jambes et aux mains.

Jouissant d’une image relativement préservée à l’international, si ce n’est les critiques lancinantes de la corruption endémique qui la rongent depuis sa création, l’AP avait réussi jusqu’ici à ne pas associer son nom à l’exercice abusif du pouvoir et l’autoritarisme, rappelle Béligh Nabli.

Quelque 84 % des Palestiniens estiment que l’Autorité palestinienne est corrompue, selon une enquête publiée mi-juin par un institut de sondage à Ramallah.

D’un point de vue international, les images montrant des manifestants et des journalistes réprimés risquent de contrarier l’administration Biden. À Washington, le département d’État a indiqué que les États-Unis étaient « profondément perturbés » par la mort de Nizar Banat et dit avoir de « sérieuses inquiétudes concernant les restrictions de la liberté d’expression des Palestiniens par l’Autorité palestinienne et le harcèlement de militants de la société civile et d’associations ».

Un message très clair envoyé à Mahmoud Abbas, snobé par la Maison Blanche sous Donald Trump, et qui cherche à revenir sur le devant de la scène diplomatique. Le responsable ayant été éclipsé par le Hamas qui s’est érigé en défenseur de Jérusalem lors de sa récente confrontation avec l’armée israélienne.

« S’il n’y a pas de surprise du côté palestinien quant à la capacité du pouvoir de faire montre d’arbitraire et de répression, aujourd’hui, vu de l’extérieur, le masque qui est tombé vient décrédibiliser un peu plus l’AP et Mahmoud Abbas aux yeux des puissances internationales », estime Béligh Nabli.

Et de conclure : « alors qu’il se retrouve dans une situation de politique interne inextricable, seule une main tendue américaine pourrait sauver le président palestinien. Mais est-ce dans l’intérêt de l’administration Biden d’en faire un interlocuteur exclusif ? Pas sûr, tant Mahmoud Abbas est incontestablement affaibli et sans ressort politique pour assumer, malgré un bilan diplomatique honorable notamment sur le plan de la justice internationale, des démarches au nom des Palestiniens ». 

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