Ichi Hatano est tatoueur à Tokyo mais, depuis la pandémie, sa clientèle, souvent étrangère, s’est raréfiée. Alors, quand il a entendu parler de l’explosion du marché de l’art numérique grâce à la technologie « blockchain », il a sauté sur l’occasion.
« C’est génial pour un artiste d’avoir un nouveau marché qui s’ouvre, cela crée beaucoup de possibilités », déclare à l’AFP Ichi Hatano, 44 ans, dans son étroit salon de tatouage tapissé de ses motifs de prédilection, des créatures issues du folklore japonais.
Le tatoueur japonais Ichi Hatano dessine une « hannya » (fantôme femme) sur tablette tactile dans son studio à Tokyo, le 22 juin 2021 (AFP – Philip FONG)
Passer de la peau humaine à de l’art dématérialisé ne le perturbe pas. « Mon travail est le même, mon processus créatif aussi », dit-il en dessinant une « hannya », le fantôme ricanant d’une femme vengeresse dans les contes japonais, à l’aide d’un stylet sur sa tablette tactile.
Ichi Hatano n’a encore jamais vendu d’oeuvre virtuelle, mais il dit « sentir » le potentiel de ce marché alors qu’il présente cinq oeuvres de cette catégorie à l’exposition « CrypTokyo » qui vient d’ouvrir dans une galerie du quartier tokyoïte branché de Harajuku.
« C’est la première exposition de crypto-art jamais montée à Tokyo », affirme à l’AFP son curateur de 27 ans, Sascha Bailey, directeur général de Blockchain Art Exchange (BAE), plateforme de vente en ligne spécialisée dans ce segment.
Le directeur général de Blockchain Art Exchange Sasha Bailey, commissaire de l’exposition d’art numérique « CrypTOKYO » à Tokyo, le 25 juin 2021 (AFP – Philip FONG)
La blockchain – une technologie décentralisée et sécurisée de stockage et de transmission d’informations qui est au coeur des cryptomonnaies comme le bitcoin – a fait exploser ces derniers mois le marché mondial de l’art numérique.
Car en étant associée à des « NFT » (non-fungible tokens), des certificats de propriété basés sur la blockchain, toute création virtuelle peut désormais facilement faire l’objet de transactions commerciales.
– « Aider les artistes modestes » –
Les plus grandes maisons de ventes aux enchères s’y sont mises et, en mars, l’artiste américain Mike Winkelmann, alias Beeple, est devenu l’un des trois artistes vivants les plus cotés au monde, une de ses oeuvres NFT ayant été vendue au prix record de 69,3 millions de dollars.
« Je pense que Beeple était une exception, mais cela a peut-être permis de montrer au monde de l’art grand public que ce nouveau segment était compétitif », estime Sascha Bailey.
« Là où le crypto-art est le plus puissant et significatif d’après moi, c’est quand il permet d’aider des artistes plus modestes », plaide-t-il.
Maxim, alors chanteur du groupe britannique d’électro-punk Prodigy, sur scène au festival Sziget à Budapest, le 15 août 2006 (AFP/Archives – ATTILA KISBENEDEK)
Chez CrypTokyo, les prix de vente des oeuvres, fixés au préalable, vont de quelques centaines à 40-50.000 dollars. Parmi les plus chères figurent celles signées Maxim, nom de scène du chanteur du groupe britannique d’électro-punk The Prodigy, récent converti à l’art NFT.
Les transactions peuvent se faire sur place ou sur la plateforme de BAE avec des cryptomonnaies (Dai et Ethereum).
Environ 150 oeuvres NFT de plusieurs dizaines d’artistes sont présentées, défilant sur des écrans, et certaines déclenchent des effets de réalité augmentée en étant vues sur un smartphone.
– Marché nippon prudent –
« Le marché japonais est toujours plus prudent avant d’adopter de nouvelles choses », selon M. Bailey. D’où le but avec cette exposition physique « de montrer aux gens comment vivre avec une telle oeuvre d’art, car beaucoup se demandent comment ils peuvent interagir avec l’art NFT ».
Des rencontres avec des artistes autour des NFT sont aussi prévues durant l’exposition qui dure trois semaines.
L’artiste japonais Yasumasa Yonehara devant l’une de ses oeuvres, « Fukuno Kami », le 25 juin 2021 à Tokyo (AFP – Philip FONG)
« Plus que pour le domaine artistique, les NFT sont connus au Japon pour la vente de tweets de célébrités à des sommes astronomiques, mais peu savent réellement de quoi il s’agit », explique à l’AFP Yasumasa Yonehara, 62 ans, autre artiste japonais participant à l’exposition.
En mars, une version authentifiée du premier message publié sur Twitter par son fondateur et PDG Jack Dorsey s’est vendue pour 2,9 millions de dollars.
« C’est peut-être déjà une réussite en ce sens, mais j’estime que ça ne sera pas le cas tant qu’on n’arrivera pas à vendre de véritables oeuvres », ajoute M. Yonehara.
Cependant, les débuts sont encourageants: Botchy-Botchy, artiste français de 48 ans installé au Japon, vient de vendre sa première oeuvre NFT à l’exposition CrypTokyo.
Avec les NFT, « le vrai plus, c’est que l’artiste touche des royalties » à chaque revente de son oeuvre et « ça, c’est vraiment nouveau » dans le marché de l’art, se félicite-t-il.
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