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Ethiopie : les ONG s’interrogent sur leur présence au Tigré après la mort de trois employés de MSF

La coordinatrice d’urgence de Médecins Sans Frontières (MSF), Maria Hernandez, a été tuée dans la région de Tigray, en Éthiopie. MEDECINS SANS FRONTIERES / VIA REUTERS

Lorsque Maria Hernandez, Yohannes Halefom Reda et leur chauffeur Tedros Gebremariam Gebremichael, trois employés de Médecins sans Frontières (MSF), ont pris la route jeudi 24 juin dans le centre du Tigré, cette province du nord de l’Ethiopie était en proie depuis quelques jours à un regain d’activité militaire marqué par de violents combats. La plupart des organisations humanitaires étaient bloquées dans la capitale régionale, Mekele, et d’autres villes de la région, dans l’attente d’y voir plus clair sur la situation et d’obtenir l’autorisation de passer aux checkpoints gardés par les forces érythréennes ou éthiopiennes.

Les équipes de MSF ont rapidement perdu le contact avec les trois humanitaires – une Espagnole et deux Ethiopiens. Le lendemain, leurs corps sans vie ont été retrouvés, gisant à quelques mètres de leur véhicule. MSF a aussitôt dénoncé « un assassinat brutal » et promis d’œuvrer « sans relâche à faire la lumière » sur les circonstances de l’attaque, tandis que les Nations Unies, dans un communiqué, ont qualifié de « violations graves du droit international humanitaire » ces meurtres « scandaleux et désolants ».

Au Tigré, où l’armée fédérale éthiopienne a lancé en novembre une opération militaire visant à renverser les autorités locales dissidentes issues du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), les violences des derniers jours redessinent les rapports de force sur place. Les rebelles tigréens ont repris de larges pans du territoire et contrôlent des axes stratégiques, jusque-là tenus par l’armée éthiopienne et les troupes venues de l’Erythrée voisine. Le travail des humanitaires est paralysé par cette nouvelle donne, alors que 91 % des Tigréens dépendent de l’aide alimentaire, selon l’ONU.

Neuf humanitaires déjà tués

Le ministère éthiopien des affaires étrangères a présenté ses condoléances à MSF, ajoutant que leurs employés étaient décédés dans la localité d’Abi Adi, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Mekele, « une zone où le FLPT opère de façon active ». Cette version est contredite par un porte-parole des rebelles des Forces de défense du Tigré (TDF), selon qui le meurtre a été perpétré « par les soldats battant retraite du premier ministre Abiy Ahmed ».

Les camps adverses se rejettent mutuellement la responsabilité et le travail d’investigation est compromis dans un Tigré où les télécommunications sont de nouveau fortement limitées. De plus, l’omerta règne parmi les organisations humanitaires qui craignent de parler aux médias.

Maria Hernandez, Yohannes Halefom Reda et leur chauffeur Tedros Gebremariam Gebremichael s’ajoutent à la liste déjà longue des humanitaires ayant perdu la vie au Tigré depuis le 4 novembre. Avant eux, neuf autres travailleurs avaient été tués, dont des membres de l’Agence américaine pour le développement international USAID, du Danish Refugee Council ou de l’International Rescue Committee. Le Forum rassemblant les ONG humanitaires internationales en Éthiopie (HINGO) a répété sa demande auprès de toutes les parties du conflit au Tigré de « respecter le droit international, et d’assurer un accès libre et sécurisé aux ONG pour atteindre les personnes en besoin d’assistance ».

Après le temps du choc vient celui des questionnements. Cet assassinat va-t-il remettre en cause la présence des ONG dans la zone ? Oui, estime une travailleuse humanitaire basée à Addis-Abeba, la capitale, et dont l’organisation était sur le point de se déployer dans la région septentrionale éthiopienne. « Notre staff est en attente, précise-t-elle. Je doute que l’on envoie qui que ce soit au vu des circonstances. » Plusieurs membres d’ONG se plaignent aussi du caractère imprévisible de la situation militaire actuelle, de surcroît au commencement de la saison des pluies qui complique l’accès aux zones reculées.

Efficacité de l’intervention

D’autres, dont MSF, se posaient déjà la question en coulisses de l’efficacité de leur intervention au Tigré. Les besoins sont immenses alors que la région est toujours ravagée par les combats – une frappe aérienne le 22 juin a encore fait plus de 60 morts et quelque 180 blessés – et que les Nations Unies alertent sur une famine touchant au moins 350 000 personnes. Mais les organisations redoutent la présence des Érythréens « avec qui il est impossible de négocier », affirme une source. Et les hôpitaux de la région, remis en état de marche par les ONG, sont systématiquement pillés par les soldats d’Asmara, ramenant leur butin de l’autre côté de la frontière, témoigne un diplomate.

Selon une travailleuse humanitaire, la présence d’une personne de type occidental dans chaque équipe était jusqu’à présent considérée comme le moyen d’éviter les exactions. Mais, poursuit-elle, « aujourd’hui, on se rend compte que tout le monde est vulnérable ». Au-delà des risques intrinsèques au conflit, des ONG se disent également troublées par une certaine « animosité des autorités éthiopiennes ».

Le 3 juin, une porte-parole gouvernementale affirmait que, « dans certains cas, nous avons des preuves crédibles indiquant que des acteurs, sous couvert d’aide humanitaire, ont tenté de faire passer des armes en contrebande au-delà des checkpoints ». Interrogée par Le Monde sur ces preuves, la porte-parole a assuré qu’elles « seraient mises à disposition du public en temps voulu ». Pour l’heure, rien n’a été dévoilé.

Dans une interview donnée à la télévision éthiopienne Fana le 22 juin, Abiy Ahmed a lui aussi émis publiquement des doutes quant à l’intégrité des ONG opérant au Tigré. Dressant un parallèle historique avec la guerre qu’avait menée le régime marxiste du Derg dans la même région durant les années 1980, il a assuré que les organisations de l’époque avaient « soutenu le FLPT en apportant des stratégies, de l’argent, de l’entraînement et des armes ».

D’après le premier ministre, « les forces qui avaient fourni des armes au FLPT pour faire tomber le régime du Derg […] veulent aujourd’hui utiliser la même tactique qu’il y a 30 ou 40 ans ». Le contexte est délicat pour Abiy Ahmed, candidat aux élections législatives qui se sont tenues le 21 juin et dont les résultats sont attendus de façon imminente. Un scrutin grâce auquel il espère gagner en légitimité.

Au lendemain de la mort des trois membres de MSF, le ministère éthiopien des affaires étrangères a réitéré une proposition du gouvernement de fournir « des escortes militaires dans ces zones » afin d’« éviter de tels meurtres tragiques ». Une déclaration vécue comme une provocation par certains travailleurs, soulignant qu’elle va à l’encontre des principes d’impartialité, de neutralité et d’indépendance des organisations humanitaires.

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