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La cour de hôpital Ibn Jazzar, à Kairouan, en juin 2021. LILIA BLAISE
L’esplanade de la grande mosquée de Kairouan, monument vieux de plusieurs siècles, est déserte. Habituellement l’endroit, qui jouxte la médina, est un important axe de circulation. Mais dimanche 20 juin, la ville du centre-est du pays et sa périphérie ont été reconfinées, comme trois autres régions du nord de la Tunisie. En cause : un pic de décès dus au Covid-19 et l’afflux de malades dans des hôpitaux déjà saturés.
Depuis, Kairouan a des airs de cité fantôme. Une affiche rouge représentant le virus barrée du slogan « Solidaires contre le corona » a été placardée sur les murs qui encerclent la vieille ville. Les étals des souks et des marchés ont été recouverts de bâches. Seuls quelques marchands ambulants et des commerces essentiels continuent de travailler au milieu du bruit des ambulances qui défilent vers l’hôpital Ibn Jazzar.
« Ce n’est pas partout comme ça, tempère Nizar Khlif, militant de la société civile et membre de la radio Kairouan Libre FM. Certains cafetiers continuent de travailler clandestinement et, dans un village, les autorités ont même dû stopper un mariage qui avait eu lieu cette semaine. »
Depuis trois semaines, la région affiche des taux de positivité extrêmement élevés (entre 45 et 50 %) sur les 600 personnes testées quotidiennement, et une moyenne de 8 à 10 décès par jour. Au service des urgences de l’hôpital Ibn Jazzar, les malades du Covid-19 sont mélangés aux autres patients : l’afflux des derniers jours a été tel qu’il a été impossible de faire un tri ou de respecter un circuit adapté.
« La situation est grave »
Les mots « Corona » et « Covid » ont été gribouillés à la hâte sur les portes de certains services. Une tentative pour isoler les pièces les unes des autres, autant que possible, et limiter les déplacements, mais de nombreux patients et membres du personnel circulent librement. Certains arrivent de l’extérieur par une petite porte-fenêtre pour effectuer un test. Dans une autre pièce, ce sont des personnes âgées, assises parfois à même le sol avec des bouteilles d’oxygène, qui attendent leur transfert vers d’autres hôpitaux de la région.
« La situation est grave. Pourtant, nous avons averti depuis trois semaines que, vu les chiffres de contamination, nous allions être dépassés. Il y a eu un manque de respect des gestes barrières, mais aussi un taux de vaccination très faible. Ces deux facteurs expliquent cette nouvelle propagation du virus », explique Mohamed Rouis.
Le directeur régional de la santé alerte également sur la présence d’un nouveau variant détecté à travers des cas d’enfants et de jeunes hospitalisés « sans pathologie ni comorbidité mais qui se retrouvent dans des états très sérieux ». Ce jour-là, quatre nourrissons sont hospitalisés et un enfant de 9 ans, atteint d’une maladie auto-immune, est décédé jeudi 24 juin.
« Nous sommes vraiment dépassés : beaucoup de médecins et d’infirmiers sont aussi touchés par le Covid-19. J’ai peur que l’on manque de personnel d’ici à quelques jours », confie un médecin du service des urgences, entre deux consultations. Le responsable du service, Mohamed Salem, admet que, faute de soignants en nombre suffisant, il ne peut pas mettre en place d’organisation adaptée à la pandémie, à savoir un planning d’équipes qui travailleraient plusieurs jours d’affilée avant de se confiner et de laisser place à d’autres. « Nous avons besoin de renforcer les équipes médicales et paramédicales, car c’est impossible à gérer », martèle le médecin.
La tension est palpable
Dans la cour de l’hôpital, le gouverneur de la ville est en pleine altercation avec des proches de patients hospitalisés, leur demandant de quitter les lieux. « Je veux des renforts policiers ! Tous ceux qui ne sont pas malades n’ont rien à faire ici, tout comme ceux qui ne portent pas de masques », dit-il à un policier. La tension est palpable : quelques jours auparavant, des manifestants ont dénoncé sa gestion de la crise sanitaire et demandé sa démission.
L’affluence des familles n’est pas uniquement due à de l’indiscipline. Les besoins sont tels que beaucoup sont venues se porter volontaires pour aider le personnel médical. A l’hôpital de campagne installé dans un complexe sportif de la ville, les 57 lits équipés d’oxygène sont occupés. Les proches des patients viennent donner à manger à leur mari, femme ou parent, s’occuper de les emmener aux toilettes ou de les laver.
Adel Mena, un surveillant, admet qu’ils ont dû laisser entrer ces familles, car ils n’ont que quatre infirmiers pour tous les malades. « Nous essayons de leur faire respecter le protocole sanitaire, les faire entrer juste le temps de faire ces tâches, nous n’avons pas d’autre choix », précise-t-il. L’armée a également installé des tentes et de nouveaux lits pour accueillir les cas graves, puis les transférer dans les hôpitaux militaires des régions voisines.
Très peu de vaccinés
Parmi les facteurs expliquant cette nouvelle vague : la faiblesse du taux d’inscription à la vaccination dans la région de Kairouan (10 %). Au seul centre de vaccination de la ville, des personnes âgées de plus de 70 ans sont encore en train de recevoir leur première dose, alors que la campagne a démarré mi-mars.
« Il y a un gap socioculturel à Kairouan. Beaucoup d’anciens vivant dans les campagnes n’ont pas du tout été sensibilisés à la vaccination et n’ont pas non plus les moyens logistiques de s’inscrire ou de venir jusqu’au centre », explique Mohamed Liouane, radiologue dans le privé. Avec d’autres médecins, il tente de sensibiliser à la vaccination via sa radio associative en ligne, Al Hayet FM. Le gouvernorat de Kairouan affiche un taux de pauvreté de 34,9 %, le double de la moyenne nationale, ainsi qu’un taux d’analphabétisme de 35 %.
Les équipes de santé de la région avec le ministère de la santé ont annoncé le lancement d’une campagne de vaccination mobile pour se rapprocher des régions reculées. « L’inscription et la vaccination se feront sur place le jour même, pour éviter que la personne n’ait à s’inscrire sur Internet. Nous n’avons pas pu lancer cela avant, à cause de difficultés logistiques, notamment pour le transport des vaccins qui doivent être conservés à une température bien définie », explique Nadha Sarsour, en charge du centre de vaccination de Kairouan. Au 22 juin, seules 37 000 personnes avaient reçu leur première dose.
Vendredi 25 juin, Hasna Ben Slimane, porte-parole du gouvernement, a annoncé un renforcement des restrictions à travers le pays pour tenter de freiner cette nouvelle vague. Du côté du ministère de la santé, on pointe des hôpitaux à « 90% pleins » et un nombre élevé de décès quotidiens (80 au cours de la semaine écoulée). Le chef du gouvernement Hichem Mechichi, qui avait reçu ses deux doses de vaccin en avril et mai, a, lui, été testé positif au Covid-19, selon un communiqué de ses services.
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