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« Tous les jours, il faut se battre, négocier, arracher » : une semaine dans « l’hôpital français » de Kaboul

Par Annick Cojean

Publié aujourd’hui à 01h12

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Reportage« L’Afghanistan au jour le jour » (1/2). Alors que les talibans reviennent en force et que les troupes américaines se retirent du pays, notre reporter a passé plusieurs jours dans un établissement hospitalier où sont soignés des enfants et des femmes. Un endroit où se mesure pleinement la peur de la population.

Une profonde angoisse étreint, en ce début d’été, la capitale afghane. Une angoisse faite de peur, de tristesse, de fatigue. Une angoisse obsédante, qui teinte chaque journée d’appréhension diffuse, et confère à tous un sentiment de vulnérabilité. Certes, le danger n’est pas nouveau dans cette ville chaotique où chaque jour peut offrir une rencontre avec la mort : assassinats, bus et voitures piégés, attaques-suicides de commandos. Mais voici qu’au défi quotidien de travailler et de (sur) vivre dans cette capitale épuisante s’ajoute l’incertitude sur l’avenir du pays, une fois parties les troupes américaines, peut-être autour du 4 juillet. Quid des talibans, qui conquièrent chaque semaine de nouveaux districts dans les trente-quatre provinces et progressent vers Kaboul ? Quid de leurs intentions, du rapport de force avec le gouvernement ? La guerre, encore ? La paix ? Mais à quel prix ? Et quels droits pour les Afghans ? Surtout, quelles libertés ?

Kaboul, le 6 juin 2021. La façade de l’entrée de l’Institut médical français pour la mère et l’enfant (IMFE) est ornée d’une fresque d’une dizaine de mètres, symbole des lieux. HEDAYATULLAH POUR « LE MONDE »

Ce moment est fou, qui voit s’accélérer le départ des soldats exigé par Joe Biden. Les ambassades, elles, commencent à mettre à l’abri leur personnel et n’excluent pas de fermer en quelques heures si la situation venait à l’exiger. Les ONG, elles aussi, sont en état d’alerte. Et la panique gagne nombre d’Afghans qui, lorsqu’ils ont de la famille ou la moindre ouverture à l’étranger, cherchent à s’exiler. Les autres, fatalistes, ne peuvent qu’attendre, usés par quatre décennies de violence, mais convaincus que la situation ira de mal en pis. Le Covid-19 ? Il a beau faire des ravages, cela semble le cadet de leurs multiples soucis. Sauf pour ceux qui étouffent et meurent chez eux ou dans la rue, refoulés par les hôpitaux publics, sans services de réanimation ni stocks d’oxygène.

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Dans ce pays en état de catastrophe sanitaire, où l’ONU estime que 18,4 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, un hôpital imaginé et construit par des Français continue de pratiquer, chaque jour, des opérations à cœur ouvert – entre autres −, et principalement sur des enfants. Quelque 1,5 million de patients y ont été soignés depuis sa création, il y a quinze ans. On l’appelle l’Hôpital français de Kaboul, ou encore l’Institut médical français pour la mère et l’enfant. Nous y avons passé une semaine.

Jeudi 3 juin : ne pas céder à la panique

Dès les premières heures du matin, les gens affluent vers les portes de l’hôpital situé dans un faubourg, au pied d’une montagne couverte de bidonvilles. Ils débarquent à pied, en taxi, à vélo, seuls ou le plus souvent en famille, et offrent une sorte de puzzle des ethnies d’Afghanistan : Pachtouns aux turbans clairs, Tadjiks aux pakols sombres ramenés sur les yeux (le béret de laine à bords roulés, associé à jamais à l’image du commandant Massoud), Hazara têtes nues et aux yeux étirés, peut-être des Ouzbeks. Les femmes, elles, sont toutes voilées ; certaines se camouflent dans une burqa bleu vif ou marine qu’elles soulèvent prestement devant les différents guichets ; d’autres se drapent dans des abayas (vêtements longs et amples) noires, les mains souvent gantées ; d’autres enfin arborent sur leurs cheveux un foulard plus léger, une longue robe ou chemise leur cachant les hanches et la silhouette.

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