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Isabelle Kamariza (à droite) dans la cuisine de l’ONG Solid’Africa à Kigali, en mai 2021. PIERRE LEPIDI
Dès l’aube commence le ballet des fourgonnettes et des camions utilitaires. Dans la cour de l’usine de Solid’Africa, située dans le district de Gasabo à l’est de Kigali, la capitale rwandaise, les employés rangent avec précaution des sacs et des marmites à l’arrière des véhicules. A l’intérieur, de la soupe, du fromage, du lait, des pommes de terre. Chaque jour, l’ONG Solid’Africa distribue 2 700 repas aux patients les plus vulnérables répartis dans quatre hôpitaux publics du Rwanda.
« Les personnes hospitalisées ne reçoivent aucun repas à l’exception de ceux qui sont apportés par leur famille et parfois elles habitent loin, explique Isabelle Kamariza, cofondatrice de Solid’Africa. Il y a des restaurants autour des établissements mais ils sont souvent chers. »
L’initiative d’Isabelle Kamariza dit quelque chose du Rwanda, ce pays qui s’est développé à toute allure au cours de la dernière décennie, mais demeure l’un des plus pauvres au monde. Une situation qu’est venue aggraver l’épidémie de Covid-19. « Le pays a beaucoup progressé dans l’accès aux services et dans les indicateurs de développement humain, écrit la Banque mondiale dans un état des lieux publié en avril. Mais la crise générée par la pandémie est à l’origine d’une recrudescence sévère de la pauvreté. » En 2021, estime l’institution, le Rwanda, pays de 12 millions d’habitants, devrait compter 550 000 pauvres supplémentaires.
La rencontre avec « Mama Zuzu »
Aujourd’hui, la population rwandaise est classée en quatre catégories, en fonction de critères socio-économiques. Dans la plus basse qui représentait, en 2016, 16 % de la population, les citoyens n’ont aucun revenu officiel. Le gouvernement rwandais les prend intégralement en charge en cas d’hospitalisation, mais aucun repas ne leur est servi.
Dans la catégorie suivante, chaque Rwandais doit payer une mutuelle d’un montant annuel de 3 000 francs rwandais (quelque 3 euros) et 10 % des frais d’hôpitaux. « Aux patients de ces deux catégories nous apportons aujourd’hui trois repas par jour, se félicite Isabelle Kamariza. Des assistantes sociales nous envoient quotidiennement la liste de ces malades et leur lieu d’hospitalisation. »
Agée aujourd’hui de 38 ans, Isabelle Kamariza est née au Burundi et a suivi des études de droit en Belgique. « Puis j’ai eu un énorme passage à vide et une crise existentielle, se souvient-elle. J’ai lu la Bible et me suis interrogée : “Comment aider mon prochain ?” En découvrant le passage sur le Jugement dernier, j’ai eu envie de me tourner vers les plus démunis et donner un sens à mon existence. » Elle fait la rencontre d’un SDF d’origine afghane à qui elle décide d’offrir chaque jour un repas. Quelques semaines plus tard, elle convainc des amis d’en faire autant.
Lors d’un voyage au Rwanda, son pays d’origine, elle croise une femme généreuse que tout le monde surnomme « Mama Zuzu ». « C’est la rencontre que j’attendais, se souvient Isabelle Kamariza. Moi qui viens d’un milieu aisé, j’ai découvert cette femme courageuse, issue d’un milieu difficile et mère de huit enfants, qui donnait chaque jour de quoi manger à une patiente hospitalisée. » Isabelle Kamariza décide de faire de même. Lorsque la patiente quitte l’hôpital, elle décide de continuer avec une autre, puis encore une autre, puis des dizaines.
Le projet d’une usine
En 2010, toujours en compagnie de « Mama Zuzu », elle fonde Solid’ (pour solidaire) Africa. Les deux femmes préparent dans leur cuisine des repas qu’elles apportent au CHU de Kigali, le plus grand établissement hospitalier du Rwanda. Mais elles voient les choses en beaucoup plus grand. Grâce au système D et un élan de solidarité, elles parviennent à récupérer des fonds. Elles se mettent à servir 60 repas par jour puis, au fil des mois, elles passent à 80 puis 160. Leur cuisine devient alors trop étroite.
« L’idée d’ouvrir une usine est venue naturellement », se souvient Isabelle Kamariza. La municipalité de Kigali met à la disposition de Solid’Africa un terrain d’une surface de 2 600 m². Pour dessiner les plans de l’usine, un professeur d’architecture fait plancher ses étudiants de l’université de Kigali. Reste à trouver un financement d’environ 360 000 euros. « J’ai pris mon courage à deux mains et suis allé voir la première dame, Jeannette Kagame, raconte Isabelle Kamariza. Elle préside la fondation Imbuto qui vise notamment à améliorer les conditions de vie des Rwandaises. Malheureusement, elle n’avait pas une telle somme à sa disposition. »
Une semaine plus tard, coup de théâtre. En visite officielle au Rwanda, le roi du Maroc, Mohammed VI, fait un don d’un million de dollars pour soutenir le développement du pays. « La première dame m’a rappelé pour me dire qu’une partie de cet argent allait servir à la construction de l’usine de Solid’Africa, témoigne Isabelle Kamariza. Et tout s’est accéléré. » Des bailleurs de fonds et des donateurs, notamment turcs et américains, complètent l’enveloppe qui s’élève finalement à 510 000 euros avec tous les équipements.
4 350 repas distribués quotidiennement
Le 30 décembre 2019, l’usine est inaugurée : 1 200 repas sont alors préparés quotidiennement pour nourrir 400 patients hospitalisés. « Comme on maîtrisait l’opérationnel, on s’est mis à servir trois autres hôpitaux », poursuit Isabelle Kamariza. En 2020, l’arrivée du Covid-19 amène à nouveau le projet à changer d’échelle : « Tous les hôpitaux nous ont contactés. En treize jours, on a été capable de s’adapter pour nourrir 900 patients trois fois par jour ! »
Solid’Africa compte aujourd’hui 89 employés, des cuisiniers aux agronomes en passant par un nutritionniste, et surtout 48 fermiers. Car en plus d’un terrain de 12 hectares sur lequel sont produits essentiellement des fruits, l’ONG exploite aussi un terrain de 9 hectares où sont cultivés du riz et des légumes.
L’association vit aujourd’hui grâce à une cinquantaine de membres mais aussi des dons d’usines, de fondations… Depuis peu, elle facture des repas qui sont livrés aux 1 650 employés d’une usine de textile implantée à quelques kilomètres. « Solid’Africa n’est pas encore autosuffisant mais on s’en approche, se félicite Isabelle Kamariza. En termes de production nous assurons 4 350 repas [2 700 dans les hôpitaux et 1 650 dans l’usine] chaque jour de l’année. »
Ce qui la rend le plus fière ? N’avoir jamais manqué un seul jour de livraison aux patients, même au plus fort de la pandémie.
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