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Un NFT intitulé « SHIFT// » de Mad Dog Jones présenté à New York, le 4 juin 2021. CINDY ORD / GETTY IMAGES VIA AFP
L’artiste nigérian Osinachi n’a que 29 ans, mais ses tableaux peints sur Microsoft Word se vendent déjà sur Internet plusieurs dizaines de milliers d’euros… Ou plus exactement une poignée d’ethereum, une monnaie virtuelle utilisée pour acheter de l’art numérique.
Sur un écran d’ordinateur, un danseur noir, dreadlocks attachées en chignon et tutu en pagne africain ajusté au corps, s’élance dans les airs. Ce tableau numérique intitulé Becoming Sochukwuma s’est vendu en avril l’équivalent de 62 000 euros sur le marché du crypto-art, qui attire de plus en plus d’artistes au Nigeria.
Le crypto-art est une œuvre d’art numérique à laquelle a été associé un non-fungible token (« jeton non fongible », NFT), un certificat d’authenticité qui repose sur la technologie dite de la blockchain, un fichier informatique inviolable, traçable et unique. Et donc potentiellement cher.
C’est ce NFT qui rassure désormais les collectionneurs quant à la garantie de propriété d’une œuvre dématérialisée, c’est-à-dire présente uniquement sur la Toile, et qui a fait exploser ces six derniers mois le marché mondial de l’art numérique.
Un marché qui s’emballe
Les NFT ont généré, sur les cinq premiers mois de 2021, près de 2,5 milliards de dollars de transactions, selon le site NonFungible. Et les grandes maisons d’enchères en vendent désormais régulièrement, comme c’est le cas chez Sotheby’s ou Christie’s.
Sur ce nouveau segment du marché de l’art, les œuvres pop art d’Osinachi connaissent un très fort succès. Jeune étudiant, il utilisait déjà Microsoft Word pour réaliser ses tableaux. Mais il y a encore quelques années, « les galeries n’avaient rien à faire de l’art digital et aucune d’entre elles ne répondait à mes emails », se souvient-il.
Alors que le marché traditionnel ne lui laisse pas sa chance, il découvre en 2017 la possibilité de vendre son art directement aux acheteurs en passant par la technologie dite de la blockchain. Mais c’est réellement au début de l’année 2021, alors que les marchés des cryptomonnaies et des NFT s’emballent, qu’Osinachi devient le crypto-artiste africain le plus coté.
Désormais, « les galeries lui courent après », explique à l’AFP Oyindamola Fakeye, la directrice artistique du Centre d’art contemporain de Lagos (CCA), qui salue « l’influence très positive qu’il a à présent sur les artistes numériques africains ».
Le Nigeria potentiel leader
Blockchain, cryptomonnaie, NFT : ces termes n’ont plus aucun secret pour lui et il s’affaire désormais à les expliquer aux autres artistes dans des formations en ligne gratuites. Car, au Nigeria, où la jeunesse est aussi connectée que créative, sa réussite inspire.
Artistes et entrepreneurs sont plus nombreux à vouloir prendre part à « cette révolution du monde de l’art », souligne un autre crypto-artiste nigérian, Niyi Okeowo, dont les œuvres « afrofuturistes » associent photographie, 3D et graphisme. Selon lui, il existe une centaine d’artistes digitaux au Nigeria « et la plupart sont inspirés par Osinachi », poursuit-il.
Osinachi en est convaincu : « Le Nigeria a le potentiel pour devenir leader du crypto-art en Afrique ». D’abord, « parce qu’il existe ici de nombreux talents », précise-t-il. « Rien qu’à Lagos », la capitale économique de 20 millions d’habitants, « l’énergie créative est bluffante ».
Ensuite, parce qu’en ces temps de crise économique et de dévaluation du naira, un nombre toujours plus important de jeunes Nigérians perdent confiance dans leur devise et préfèrent investir dans les cryptomonnaies.
Des investissements
En 2020, plus de 400 millions de dollars ont été échangés en cryptomonnaies dans le pays, faisant du Nigeria le troisième utilisateur de monnaies virtuelles au monde après les Etats-Unis et la Russie, selon une étude du cabinet Statista.
Pour ces mêmes raisons, Uyi Omokaro croit dur comme fer au potentiel des NFT au Nigeria. Il y a deux semaines, cet entrepreneur a lancé Wearemasters, une plate-forme de vente de NFT d’artistes africains. Son projet est de s’associer avec plusieurs galeries nigérianes pour lancer sur le NFT les artistes les plus prometteurs, comme le jeune Nigérian Daniel Pengrapher. « Notre but est de leur donner une visibilité internationale grâce au NFT », explique M. Omokaro. Car, pour l’instant, les grands collectionneurs de NFT au Nigeria se font rares.
« A ma connaissance, je suis l’un des seuls », explique Michael Ugwu, à la tête d’un studio digital à Lagos. Il avait commencé à investir dans les cryptomonnaies dès 2017 et, dans le marché du crypto-art il dit avoir trouvé « une communauté accueillante, contrairement au monde de l’art traditionnel qui paraît un peu snob ».
Cet « amoureux de l’art numérique » possède déjà une centaine de NFT et les considère comme des investissements. Il utilise par exemple certains de ces NFT comme assurance pour obtenir rapidement des prêts sur le marché de la cryptofinance, là où il mettrait des mois à en obtenir un sur le marché bancaire traditionnel nigérian.
La récente chute des cours des cryptomonnaies, qui diminue automatiquement la valeur de sa collection, ne semble cependant pas l’inquiéter. « Mes amis pensent que je suis fou, précise-t-il. Mais attendons et regardons dans dix ans ! »
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