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Le port commercial de Marseille, en mai 2016. PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
Il s’excuse en riant : il n’y a plus de Selecto, le fameux cola algérien, dans le frigo. Assis sur sa terrasse ombragée, située sur les hauteurs de Vitrolles (Bouches-du-Rhône), « R. B. » – qui demande à être cité par ses initiales – boit une citronnade avec Nazim Sini, délégué de la région Marseille de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie en France (CACI) pour parler business et du pays.
Depuis avril, les deux hommes échangent beaucoup : R. B. réfléchit à créer sa start-up de l’autre côté de la Méditerranée. Ce Franco-Algérien de 34 ans, au look d’influenceur sorti d’un post Instagram, est un « personal shopper » : il achète à prix d’or, pour la jeunesse dorée d’Alger, des sneakers de collection. « Et la demande est conséquente », assure-t-il. Ses marges sont colossales : au moins 400 euros par paire expédiée, soit quatre fois le salaire minimum algérien.
Pour R. B., la fermeture des frontières, imposée par les autorités algériennes depuis le 17 mars 2020 pour endiguer la propagation du Covid-19, a été une aubaine. « Les Algériens ne peuvent pas se déplacer. Et comme le e-paiement n’est pas généralisé, ils font appel à moi, explique-t-il. J’ai sollicité la CACI pour être accompagné parce que je veux formaliser l’informel et apporter ma pierre à l’édifice. Pas un parpaing, mais un gravillon, ça serait déjà pas mal. »
Nazim Sini l’écoute attentivement. « Mon rôle est de défricher le terrain et de simplifier des démarches qui peuvent paraître complexes », résume-t-il. Il a effectué pour R. B. une étude de marché et répond aux différentes questions avec pédagogie afin de le persuader de lancer sa future société en Algérie. « Il y a une exonération d’impôt sur les bénéfices pour les start-up pendant trois ans », lui répète-t-il. R. B. est sensible à cet argument : la fiscalité est sa principale préoccupation.
« Patriote économique »
Pour le reste, peu importe si l’Algérie se retrouve aujourd’hui dans une impasse politique ou qu’elle traverse une crise économique avec notamment une chute de 80 % des réserves de devises étrangères depuis 2013 : « Quelle que soit la situation, il y aura toujours des consommateurs », pointe R. B.
Les journées de Nazim Sini sont bien remplies : le représentant régional enchaîne rendez-vous sur rendez-vous. Ce Franco-Algérien de 36 ans, fils de diplomate, qui se définit comme un « patriote économique », sillonne bénévolement depuis 2015 la région marseillaise pour inciter des entrepreneurs de la diaspora et français de mener des affaires en Algérie.
Et la métropole n’est pas ciblée par hasard : elle accueille l’une des plus importantes présences d’Algériens en France, binationale ou pas, estimée à plus de 220 000 personnes. « Et l’Algérie est le premier client de Marseille », clame-t-il.
Selon la CACI, les échanges commerciaux s’élèvent à près de 800 millions d’euros chaque année entre la ville française et le pays voisin (hydrocarbures, produits agricoles, véhicules…). « Il y a eu une baisse de 40 % l’année dernière à cause du Covid, explique-t-il. La crise sanitaire a révélé la fragilité économique et sociale de l’Algérie. Nous sommes dans l’urgence et la diaspora est une composante de la solution qui peut apporter devises et compétences. »
« Modernisation du système financier »
Mais attirer des investisseurs binationaux et français n’est pas une tâche aisée. Ce jeune professeur d’économie dans le supérieur a conscience que l’image de l’Algérie n’est pas toujours à son avantage : pays fermé, lourdeur de la bureaucratie, corruption… « L’Algérie fait peur. Il y a de la défiance et de la méfiance. C’est un pays encore inconnu. Mon travail est de rassurer et de le faire connaître, ajoute-t-il. Je suis un pèlerin économique. »
Quand il rencontre la diaspora, celle-ci lui exprime, au-delà de la fibre patriotique et de l’amour pour le pays, souvent les mêmes critiques : un manque de « visibilité » et de « lisibilité » dans les décisions économiques de l’Etat algérien. « Justement, notre enjeu est la modernisation du système financier », rebondit le délégué régional.
C’est avec ce genre d’explications qu’il cherche à convaincre, même les plus sceptiques. Ce jour-là, Nazim Sini déjeune dans un restaurant de Meyreuil, commune voisine d’Aix-en-Provence, avec Yves Delafon. Il veut changer la vision que le président d’Africalink, un réseau de PME issues des deux continents, peut avoir sur son pays. « On peut parler de l’Algérie, mais sans langue de bois », avertit avec le sourire M. Delafon.
Durant deux heures, ce chef d’entreprise d’une soixante d’années ne va pas ménager son convive. « L’Afrique est le prochain moteur mondial et l’Algérie est notre partenaire évident. On ne peut pas se passer de lui, commence-t-il à dire. Mais tous les retours que j’ai disent que c’est le bordel : c’est complexe, les conflits entre les associés ne sont pas résolus dans les tribunaux, on perd de l’argent… »
« Le pays s’ouvre »
Yves Delafon insiste sur la difficulté à rapatrier en France les euros depuis l’Algérie, le dinar étant une monnaie non convertible. « Il faut plus de souplesse », répète-t-il. Nazim Sini écoute et riposte : « Pourquoi est-on aussi exigeant avec l’Algérie et pas avec la Chine ou la Russie ? L’Algérie est un secteur vierge, il y a des opportunités. C’est un pays où l’on peut s’enrichir très vite. »
Yves Delafon répond : « Il est urgent d’attendre. Attendre que les mentalités changent, qu’il y ait une ouverture plus forte. » M. Sini rétorque : « Je ne veux pas qu’on noircisse le tableau. En Algérie, il y a la règle des trois P : persévérance, patience et pertinence du projet. On ne peut pas arriver en Algérie en terrain conquis. »
Signe que le pays s’ouvre, selon Nazim Sini, l’Etat algérien vient d’abandonner « la règle du 51-49 » dans les secteurs non stratégiques – le plafonnement à 49 % de la participation d’un investisseur étranger dans le capital d’une société algérienne – pour redynamiser l’économie du pays. Sans parler des opérations anticorruption.
Nazim Sini propose à M. Delafon d’organiser un voyage avec une délégation de chefs d’entreprise en Algérie au premier semestre 2022. Le déjeuner terminé, il file sur Marseille pour revoir un spécialiste automobile. Dans un café situé en face de la gare Saint-Charles, Luis Caetano, 47 ans, économe de ses mots, a un projet ambitieux : l’exportation de voitures de luxe en Algérie. Il ne connaît pas ce pays, mais il y a deux mois, il a eu « le feeling que c’est un marché porteur ».
Revitaliser l’industrie
Pour Nazim Sini, Luis Caetano tombe à pic. Ce secteur a connu ces dernières années une succession de crises et un scandale automobile au cœur du premier grand procès pour corruption de l’ère Bouteflika. Après des années de restrictions, l’Etat a autorisé, le 8 juin, l’importation des véhicules de moins de trois ans pour les particuliers. « Il n’y a pas de concurrence dans l’automobile de luxe », rappelle le représentant. « Je ne suis pas là pour prendre les richesses du pays, je veux investir et participer à son développement », précise M. Caetano.
Un discours qui plaît forcément à M. Sini, à la recherche de partenaires sur le long terme. « Il y a des gens qui croient en l’Algérie alors qu’ils n’ont aucun lien avec le pays », se réjouit-il. Les deux hommes ont prévu de se rendre après l’été à Alger pour finaliser le projet. Nazim Sini en profitera pour convaincre son hôte de se lancer également dans la sous-traitance de pièces détachées, un marché quasi inexistant.
Dernier rendez-vous de la journée avec Mohamed et Djamel, deux amis marseillais et franco-algériens. Ces deux quadras ont une idée : ouvrir au printemps prochain une usine d’emballages plastiques près de Khenchela, dans l’est du pays. Pourquoi se lancer en Algérie ? « J’ai ma société et j’importe de Chine. Il me faut trente jours pour acheminer ma marchandise jusqu’à Marseille. De l’Algérie, je mettrais trois jours », explique Mohamed avec son fort accent local.
Nazim Sini affirme que l’Etat algérien peut mettre les moyens pour un tel projet dès lors qu’il est porté par des ressortissants : accès au foncier, exonération de taxe douanière à l’exportation, subvention pour l’achat de machines, aide à l’amorçage… L’Algérie a besoin de revitaliser son industrie : les exportations connaissent une baisse vertigineuse. « Ça paraît idyllique », lance Djamel avec les yeux qui brillent. Les deux amis prévoient un investissement qui s’élève à six chiffres. « 50 % du coût d’investissement peut faire l’objet d’une aide financière », assure M. Sini.
« Mon entourage m’a déconseillé d’investir en Algérie en me disant qu’on allait m’arnaquer ou que ça ne marcherait pas. Ce sont des clichés », veut croire Mohamed. Son ami ajoute, enthousiaste : « On ne va pas se voiler la face, le pays fait tout pour attirer sa diaspora. Pourquoi ne pas en profiter ? »
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