La fermeture du port chinois de Yantian, pendant près de deux semaines, a déjà eu un impact plus important sur le commerce mondial que l’incident du Canal de Suez en mars dernier. Moins médiatisé que les déboires de l’ »Ever Given », ce blocage pourrait cependant avoir des conséquences jusqu’à la fin de l’année.
Cette année, le pire ennemi du Père Noël pourrait être un port dont le grand public occidental n’a jamais entendu parler. Au large de Shenzhen, une ville au sud de la Chine en face de Hong Kong, près de 50 porte-conteneurs sont encore bloqués dans le port de Yantian, un carrefour essentiel pour le commerce international.
C’est un peu mieux qu’il y a quelques jours, lorsque plus de 70 navires attendaient que le travail reprenne dans le troisième port commercial le plus important du monde, et le plus grand en Chine. Les autorités l’avaient fait fermer à la mi-mai pendant deux semaines pour lutter contre un foyer de Covid-19 dans la région de Guangdong, où se trouve Shenzhen. Plusieurs ouvriers du port avaient d’ailleurs été testés positifs.
Effet domino
Désormais, 70 % de l’activité à Yantian a repris, ont annoncé les autorités portuaires qui espèrent un retour à la normale d’ici la fin juin. Mais « le mal est déjà fait », a annoncé Maersk, le plus important armateur de porte-conteneurs au monde.
Les conséquences de l’embouteillage naval géant au large de Shenzhen dépassent déjà celles du blocage du canal de Suez par le navire « Ever Given », en mars dernier. Près de 300 cargos ont dû annuler leur trajet, changer de destination ou trouver un autre port pour embarquer leur livraison, a calculé Oneshipping, une société chinoise de logistique maritime, citée par le Global Times, un quotidien chinois proche du pouvoir.
Des analystes ont estimé que la seule fermeture du port pendant deux semaines s’était traduite par l’impossibilité de livrer ou d’embarquer plus de 2 000 kilomètres de marchandises, ou 357 000 équivalents vingt pieds – la mesure standard de capacité d’un porte-conteneur d’une longueur de 20 pieds, soit environ six mètres. C’est plus que l’impact des six jours de l’arrêt du trafic dans le canal de Suez (330 000 équivalents vingt pieds de marchandises).
Et c’est une estimation conservatrice. Car la fermeture du port de Yantian a eu un effet domino. Les navires ont dû chercher d’autres ports d’attache, créant de nouveaux embouteillages, que ce soit à Hong Kong ou à Nansha (à proximité de Macao).
Même si l’activité a partiellement repris à Yantian, y arriver et en repartir reste encore, par ailleurs, un véritable parcours du combattant. Les porte-conteneurs doivent patienter environ deux semaines pour espérer pouvoir reprendre le large, souligne le South China Morning Post, l’un des principaux quotidiens de Hong Kong.
L’ampleur de la débâcle marchande n’est, donc, pas encore connue. Mais les professionnels du secteur savent déjà que les conséquences vont se faire ressentir pendant longtemps jusque dans les rayons des magasins un peu partout dans le monde.
Un grain de sable taille XXL
Le port de Yantian est, en effet, crucial pour les exportations chinoises. En temps normal, plus de 35 000 cargos viennent y remplir leurs conteneurs tous les jours, et il est responsable de près de 20 % de tous les biens acheminés par mer vers les États-Unis. Au niveau mondial, ce sont plus de 10 % des exportations chinoises qui partent de ce port.
Les téléphones, ordinateurs, téléviseurs, textiles et autres composants utilisés par les usines à travers le monde pour fabriquer, ensuite, d’autres produits risquent ainsi d’arriver très en retard à bon port. À quel point ? « Les gens ne vont probablement pas trouver tout ce qu’ils cherchent pour les cadeaux de fin d’année », reconnaît Peter Sand, un analyste pour l’association maritime internationale Bimco, interrogé par CNN.
En effet, les problèmes du port de Yantian sont peut-être la goutte d’eau qui va faire déborder le vase d’un commerce maritime déjà proche du point de rupture. Il y a, d’abord, eu l’incident du canal de Suez qui avait entraîné des retards à la chaîne pour les porte-conteneurs.
Ensuite, la fin progressive de la crise sanitaire a entraîné un fort rebond de la demande. Seul problème : la Chine, sortie plus tôt que le reste du monde de l’épidémie de Covid-19, était l’un des seuls pays à avoir remis ses usines en route à temps pour répondre aux besoins des consommateurs du monde entier. Conséquence : « La part des exportations chinoises dans le commerce mondial a atteint un nouveau record », souligne Larry Hu, économiste en chef au cabinet de conseil financier australien Macquarie Group, interrogé par le Financial Times.
Autrement dit, le moindre grain de sable dans la grande machine à exporter chinoise a, actuellement, des conséquences encore plus graves sur le commerce mondial qu’avant la pandémie. Et la fermeture du port de Yantian est un grain de sable taille XXL. Autant dire que les grands discours du début de la pandémie sur la nécessité pour les économies mondiales de moins dépendre de la Chine pour leur approvisionnement sont loin d’avoir été traduits en actes.
Ce n’est, en outre, pas qu’une question de retard. La pression sur le commerce maritime, accentuée par l’épisode du port de Yantian, a fait exploser les prix du transport par porte-conteneurs. Il faut actuellement payer 20 000 dollars pour le trajet d’un porte-conteneur de 40 pieds entre l’Asie et l’Europe du Nord, soit une hausse de 1 000 % par rapport à la période d’avant la pandémie, note le Süddeutsche Zeitung, l’un des principaux quotidiens allemands.
Une envolée tarifaire qui ne se fait pas seulement ressentir en mer. Les importateurs, pour essayer de contourner la congestion actuelle du commerce maritime, ont cherché à faire venir leurs produits par trains ou camions, quand c’est possible. Une quête frénétique d’alternatives qui a déjà conduit à un doublement du prix du transport routier entre l’Asie et l’Europe par rapport à avant la pandémie, souligne le Financial Times.
Pour The Wall Street Journal, cette pression sur les prix risque d’être répercutée en partie sur les produits vendus en magasin à partir de la rentrée… si ces derniers arrivent à bon port.
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