Tribune. Est-il possible de faire face à l’histoire, de travailler sur ses traumatismes, de soigner ses blessures, par des arrestations posthumes ? La justice obsessionnelle n’est-elle pas le véritable obstacle à la reconstruction du passé et à la promotion d’un débat ouvert ?
La récente démarche du gouvernement italien, qui a demandé l’extradition d’une poignée de femmes et d’hommes réfugiés depuis des décennies en France, a la saveur aigre de la revanche et le goût amer de la vengeance. Comme si la remise de leurs corps, à enfermer dans les murs d’une prison, était le moyen de poser une pierre tombale, le sceau d’un stigmate sur ce chapitre de l’histoire italienne.
Une sombre continuité
De manière lapidaire, on utilise l’étiquette « années de plomb » pour indiquer une période complexe, marquée par des inquiétudes et des tensions, mais riche aussi de ferments et de nouveaux espoirs.
De même que l’Allemagne a émergé du nazisme, l’Italie s’est reconstituée sur les décombres du fascisme – à la différence qu’il y a eu chez nous une résistance et une guerre civile. Mais dans un cas comme dans l’autre, il est demeuré une sombre continuité. Et pas seulement parce que les anciens fascistes ont occupé des postes dans les préfectures, les commissariats de police et les administrations.
Lorsque ma génération, celle des années 1970, ouvrit les yeux sur les fautes des pères, une extrême violence commença. Je me souviens comme si c’était hier du massacre de la piazza Fontana [à la suite de l’explosion d’une bombe dans le hall de la Banque de l’agriculture qui fit 16 morts et 80 blessés], le 12 décembre 1969, dont les anarchistes furent aussitôt accusés. Ce fut la « stratégie de la tension » : complots putschistes, détournement des services secrets, collusion des appareils de l’Etat, violences et bombes néofascistes, qui jouissaient de couvertures. Ici, oui, il y a encore beaucoup à éclaircir. Donc, 1968 n’avait pas suffi.
Nous qui nous reconnaissions dans l’Italie partisane, nous nous mobilisâmes. Et je parle personnellement, parce que je faisais alors partie d’un groupe de la gauche extraparlementaire et du collectif féministe de ma faculté de lettres et de philosophie à [l’université] Sapienza de Rome. Ce fut une saison de luttes politiques et de batailles culturelles décisives.
Il faut le reconnaître : il y a eu en Italie, à gauche, une grande révolte, peut-être la plus importante et la plus étendue dans le contexte occidental de l’après-guerre. Elle a été très radicale, avec de forts traits libertaires et anarchistes, sur lesquels la philosophie politique doit encore réfléchir. Elle jouissait d’un large consensus, c’est indéniable. Dans certaines régions, elle dégénéra en lutte armée, néfaste et, à bien des égards, suicidaire. Les Brigades rouges, en partie issues du mouvement ouvrier, se transformèrent d’avant-garde en organisation clandestine.
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