Publié le : 18/06/2021 – 17:48Modifié le : 18/06/2021 – 19:02
Au lendemain du retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, fêté en héros par ses partisans, le travail pour une véritable « réconciliation nationale » devrait commencer dans ce pays encore traumatisé par deux décennies de violences politiques et ethniques. L’analyse de Christian Bouquet, chercheur au Laboratoire LAM « Les Afriques dans le Monde » de Sciences-Po.
Ambiance survoltée, cris de joie mais aussi crispations et tensions entre jeunes et forces de l’ordre : la Côte d’Ivoire a vécu, jeudi 17 juin, une journée historique. Après 10 ans d’absence et deux mois après avoir été définitivement acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes contre l’humanité, Laurent Gbagbo a fait son grand retour au pays.
Si l’ancien président ivoirien a assuré qu’il parlerait de politique “plus tard”, il a également eu cette phrase pour ses soutiens venus acclamer leur champion au siège de son parti, le Front populaire ivoirien (FPI) : “Je suis votre soldat, je reste mobilisé”.
Si Laurent Gbagbo reste très populaire au sein d’une large partie de la population, ses adversaires estiment qu’il a entraîné son pays dans une spirale de violences en refusant d’admettre sa défaite face à Alassane Ouattara lors de la présidentielle de 2010. Ce blocage politique avait entraîné une crise post-électorale sanglante au cours de laquelle plus de 3 000 personnes ont été tuées.
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Depuis 2000, l’histoire de la Côte d’Ivoire a été jalonnée de violences politico-ethniques, les dernières remontant à la présidentielle d’octobre 2020 et ont fait 85 morts. Alassane Ouattara a alors été réélu pour un troisième mandat lors d’un scrutin boycotté par l’opposition, qui jugeait ce nouveau mandat anticonstitutionnel.
Avec le retour longuement négocié de cet adversaire politique emblématique, la Côte d’Ivoire veut croire au début d’un processus de réconciliation nationale. Ce retour constitue-t-il une chance d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire de la politique ivoirienne après deux décennies de violences politique ? Éléments de réponse avec Christian Bouquet, professeur émérite de géographie politique à l’Université Bordeaux-Montaigne et chercheur au Laboratoire LAM « Les Afriques dans le Monde » de Sciences-Po.
France 24 : Était-il inévitable pour le gouvernement d’Alassane Ouattara d’accepter le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire ?
Christian Bouquet : C’était dans la logique de son acquittement par la CPI. Il était anormal de ne pas autoriser Laurent Gbagbo à revenir dans son pays après avoir été blanchi, même si certains disent que blanchi ne signifie pas innocenté. Il a été blanchi des charges que la procureure Fatou Bensouda avait retenu contre lui mais beaucoup d’observateurs estiment qu’il ne s’agissait pas du bon angle d’attaque, et cela a crée de la frustration parmi les associations de victimes en Côte d’Ivoire.
Ce retour n’est pas confortable pour le parti au pouvoir car Laurent Gbagbo est un personnage très charismatique qui peut, à lui tout seul, sans programme de gouvernement, sans projet de société, mobiliser des dizaines de milliers de personnes rien que sur son nom.
En même temps, il fallait jouer cette carte. Tout le monde souhaite aujourd’hui cet apaisement. On l’a vu à travers les articles de presse, les discours mais aussi les affiches qui ont fleuri ces derniers jours jusqu’à la ville de Gagnoa où l’on voit un portrait de Laurent Gbagbo avec écrit le mot : “Réconciliation”.
Justement, quelle forme peut prendre ce processus de réconciliation qui pourrait s’ouvrir dans les prochains mois ?
Le retour de Laurent Gbagbo est déjà un bon début. On avait également vu précédemment le retour d’exil d’un certain nombre d’opposants. Il y a eu une décrispation très nette ces derniers mois. On parle ici de réconciliation politique, celle dont est chargée le ministre Kouadio Konan Bertin, qui va devoir mettre de l’huile dans les rouages pour prévenir les crises et les conflits de manière à ce que désormais on apprenne à se parler en Côte d’Ivoire sans se battre ni s’invectiver.
Mais il y a, selon moi, un autre pan du processus de réconciliation qui est déjà réalisé. C’est le vivre ensemble. Pour ceux qui ont connu la situation de crise post-électorale en 2010, on avait l’impression que les Ivoiriens n’arrivaient plus à vivre ensemble. Aujourd’hui, la paix est revenue dans les villages et dans les quartiers, même si on a pu observer des violences lors de la dernière élection présidentielle.
Les observateurs ont constaté à cette occasion à quel point cette réconciliation pouvait être fragile… N’a-t-on pas frôlé la catastrophe ?
Oui, ”frôlé“ c’est le bon mot, mais cette catastrophe n’a pas eu lieu. On a tendance à l’oublier mais il faut se souvenir que la Côte d’Ivoire a été coupée en deux pendant cinq ans et s’est depuis réunifiée. C’est du jamais-vu dans la géopolitique du XXe siècle.
>> À voir sur France 24 : Laurent Gbagbo : un retour en Côte d’Ivoire à haut risque ?
La Côte d’Ivoire est parvenue à passer d’une situation de pré-insurrection à un apaisement quasi-total lors des dernières législatives où on a même vu des candidats du pouvoir battus féliciter leurs adversaires.
Laurent Gbagbo a-t-il un avenir politique ?
Pour cela, il va devoir ressouder son parti qui est divisé, lui redonner un socle idéologique et remobiliser ses troupes. Lors des dernières législatives, à Yopougon [quartier populaire d’Abidjan, NDLR] dans son ancien fief, Michel Gbagbo, le propre fils de Laurent Gbagbo, n’a obtenu que 40 000 voix sur 490 000 inscrits. Certes, il a été élu mais on est loin des scores obtenus par son père en 2010.
Reste à savoir si l’accès de ferveur, presque d’hystérie collective, que l’on a observé lors du retour de Laurent Gbagbo ne sera pas sans lendemain… L’avenir nous le dira. Tout le monde rêve d’un entretien à tête reposée avec Laurent Gabgbo pour connaître son état d’esprit, son niveau de combativité et savoir s’il est au début d’une nouvelle vie politique.
Laurent Gbagbo reste sous le coup d’une condamnation en Côte d’Ivoire à 20 ans de prison pour le « braquage » de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise de 2010-2011. Est-ce pour lui une épée de Damoclès ?
Ce n’est pas anecdotique. Même si certains disent qu’il s’agissait d’un procès politique, il y avait aussi des faits. C’est donc à prendre au sérieux. Est-ce que le pouvoir va maintenir le statu quo ? Ou bien sera-t-il condamné et deviendra ainsi inéligible ? Toutes ces questions vont probablement alimenter les échanges entre les deux camps dans les semaines et dans les mois qui viennent.
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