90% des ventes dans les pays riches
Comment a-t-il grimpé jusqu’au sommet ? L’entreprise fut portée par le charismatique Yoshizo Shimano : cet héritier du fondateur, passé par les États-Unis dans les années 60, mondialisa l’entreprise familiale en demeurant fidèle à l’excellence industrielle de sa ville natale : Sakaï, légendaire patrie des fabricants de couteaux et de sabres. Devenu géant au milieu d’une industrie fragmentée, Shimano a l’avantage de la taille sur ses concurrents : son premier concurrent, SRAM, a des ventes trois fois plus petites que les siennes, explique CLSA. Une telle présence lui permet d’énormes économies d’échelle en vente, recherche, marketing et production. D’autant que l’entreprise a placé ses usines dans les pays d’Asie à bas coût (Malaisie, Chine, Taïwan) tandis que les cyclistes, eux, sont dans les économies développés à marges élevées – Europe, États-Unis. Tandis que les pays en développement délaissent le vélo pour l’automobile lorsqu’ils accèdent à un certain de niveau de vie, les classes moyennes des pays industrialisés, « bobo-isées », font le chemin inverse, séduits par ce moyen de transport économe, sain, indépendant et écolo – ce avec le soutien actif de leurs gouvernements, qui aménagent les pistes cyclables au kilomètre. Shimano réalise 90% de ses ventes dans les pays riches. « Ils ont des concurrents comme l’Italien Campagnolo ; mais le rapport qualité-prix de Shimano est imbattable » estime Pascal Viout, designer installé à Tokyo et propriétaire d’une douzaine de vélos. Cerise du moment sur le gâteau : lors des années de Jeux Olympiques, les ventes de vélos bondissent, a noté Morten Paulsen. Le vélo est au menu des Jeux Olympiques depuis 1896, observe-t-il. Or les prochains ont lieu cette année à partir du 23 juillet, comme chacun l’aura noté, au… Japon.
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2019 et 2020 années record
Mais Shimano a aussi dans son jeu la carte de l’innovation et du sport. Elle s’est imposée dans les grandes courses cyclistes. « La marque italienne Campagnolo avait l’habitude d’équiper en dérailleurs les coureurs des grandes courses. Entre 1958 et 1998, les vélos équipés de dérailleurs Campagnolo ont remporté 83% des Tour de France. Mais depuis 1998 les dérailleurs Shimano les ont remplacés » observe Morten Paulsen, analyste du secteur dans une note pour CLSA. Shimano est leader sur la plupart des innovations technologiques du secteur (freins à disque, les boîtes de vitesse électriques…), admettent les passionnés de la petite reine. Les « morceaux choisis » de leur catalogue, dont les plus chers et les plus rentables, demeurent d’ailleurs produits au Japon. Les chiffres du ministère des Finances japonais montrent que 2020 fut avec 2019 et 2015 une année record en terme d’exportations de pièces de vélos – pour l’essentiel issus de Shimano. Shimano est de ce petit peloton d’entreprises japonaises industrielles « B-to-B » capables de reproduire infiniment et à la perfection des pièces indispensables au bon fonctionnement de nos machines. Les Sony, Toyota ou Panasonic et consorts qui formaient l’establishment industriel nippon ont perdu de leur superbe, progressivement rattrapés par les concurrents sud-coréens ou chinois ; mais leurs équipementiers, fournisseurs de deuxième rang invisibles aux clients finaux, ont souvent conservé leur bastion de spécialiste et constituent la vraie élite manufacturière de l’Archipel aujourd’hui. Meilleur exemple : YKK, leader mondial nippon de la… fermeture éclair.
La Covid booster de vente de vélos
La COVID-19 aurait-elle pu atteindre Shimano ? Au contraire : quel meilleur moyen de transport pour éviter la contamination ? Les ventes du groupe ont atteint le montant record de 2,8 milliards d’euros l’an dernier, et ont encore doublé au premier trimestre 2021 par rapport à la même période en 2020. Les marchés boursiers ne s’y trompent pas : à Tokyo la capitalisation de ce discret équipementier, supérieure à celle de tous ses concurrents du secteur combinés, est désormais égale à celle du géant automobile Nissan. Mais le groupe est prudent : pas question de multiplier pour autant les investissements industriels. « Shimano a été refroidi par la bulle des vélos en libre service il y a deux ans, un effet de mode qui est finalement retombé assez vite et n’a pas permis de se prolonger sur le long terme, indique un opérateur européen, cette pénurie leur permet en outre d’augmenter leurs prix de 20 à 30% »
Le groupe fête son centenaire cette année au champagne. Le « nid de poule » de la pénurie fera-t-il dérailler Shimano ? L’entreprise est aussi fermée et globale que cet autre géant du Kansaï : Nintendo. Comme chez ce dernier, on lui passe tout. La magie opère toujours. Actuellement fabricants de vélo et amateurs spéculent sur le futur groupe de transmission « Dura-ace », en préparation depuis des années chez Shimano. Combien de vitesses ? Combien de pignons ? Mais les mêmes s’agacent du silence de l’entreprise devant la pénurie, qu’ils assimilent à de l’arrogance. La tête dans le guidon, Shimano a annoncé investir 250 millions d’euros dans son appareil de production. Ont-ils réveillé les appétits des concurrents ? Gare à la remontada…
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