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EntretienLe sport fait partie de la mythologie de l’homme poutinien, tout en contrôle, analyse l’universitaire dans un entretien au « Monde ». Mais, comme l’a révélé le scandale du dopage d’Etat, cette politique à outrance peut aussi se retourner contre les athlètes et écorner l’image du président russe.
Docteur en études slaves contemporaines au Centre de recherches pluridisciplinaires et multilingues de l’université Paris-Nanterre, Lukas Aubin sillonne la Russie depuis dix ans. Il est l’auteur du livre La Sportokratura sous Vladimir Poutine. Une géopolitique du sport russe, paru en mai aux Editions Bréal, dans lequel il décrit une « machinerie unique au monde » mêlant pouvoir, oligarques et athlètes de haut niveau. Le championnat d’Europe de football s’est ouvert, le 11 juin, sur une polémique opposant Moscou à Kiev au sujet des maillots de l’équipe ukrainienne.
Le conflit entre Moscou et Kiev se déplace-t-il aussi sur le terrain du sport ?
La Russie et l’Ukraine ne se sont pas affrontées dans une grande compétition depuis 2014 [date de l’annexion de la Crimée et de l’intensification du conflit dans le Donbass]. L’Ukraine n’a pas participé au Mondial de football en 2018, organisé pour la première fois en Russie. Elle s’est donc servie de ces « retrouvailles » pour réactiver le conflit aux yeux du grand public. Une carte du pays faisant apparaître la Crimée et deux slogans, « Gloire à l’Ukraine ! » et « Gloire aux héros ! », ont été imprimés sur le maillot de l’équipe nationale. Et cela a fonctionné. Les réseaux sociaux se sont emballés.
Cette initiative délibérée a bien entendu provoqué la colère de la Russie. L’UEFA [Union des associations européennes de football européen] s’est vue contrainte de statuer, mais seul le slogan « Gloire aux héros ! » [qui fait référence au soulèvement populaire de 2014 en Ukraine, lors de la chute du président Viktor Ianoukovitch] a été retiré, car jugé trop « politique ». La victoire, sur ce plan, est nette pour l’Ukraine. Les dirigeants russes appellent en permanence à la dépolitisation du sport, mais le sport, en Russie, est par essence politique.
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Existe-t-il une continuité, dans ce domaine, entre l’URSS et la Russie de Poutine ?
Oui, sans aucun doute. En 1917 et dans les années qui ont suivi, la question qui se posait était : « que faire du sport ? » Comment concilier l’esprit de compétition et l’esprit révolutionnaire ? La réponse a été trouvée dans les années 1920, avec le courant hygiéniste et la glorification du corps de l’Homo sovieticus. Puis Staline a décidé d’intégrer les instances internationales du sport pour participer aux grandes compétitions et prouver au monde la supériorité du modèle communiste. L’URSS a remporté d’immenses succès, notamment aux Jeux olympiques. La guerre froide intègre alors une dimension sportive qui, elle, va être gagnée par Moscou. La conquête des records se joue dans ces deux domaines : l’espace et le sport.
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