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Hydroxychloroquine, origine du virus, utilité des masques… ce que disent (ou pas) les courriels d’Anthony Fauci

Le Dr Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses, le 6 juin à New York. L’immunologue de 80 ans a été en première ligne dans la gestion de la crise sanitaire aux Etats-Unis. JEENAH MOON / AFP

Acte de transparence ? Vaste opération de désinformation ? Les deux se mêlent, depuis qu’ont été publiés sur Internet plus de 3 000 e-mails du Dr Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses (National Institute of Allergy and Infectious Diseases, NIAID) et principal responsable de la stratégie sanitaire américaine face au Covid-19. Il est possible d’accéder à ces documents (en anglais) à cette adresse.

Cette correspondance offre une rare plongée dans l’arrière-cour des décisions scientifiques et alimente la polémique sur ce que savait ou non le département américain de la santé concernant la pandémie. Mais, attention, les nombreux comptes rendus qui circulent sur les réseaux sociaux sont peu fidèles au contenu réel de ces documents. Nous avons démêlé le vrai du faux sur ce que certains ont déjà renommé le « Fauci Gate ».

Ces e-mails proviennent-ils d’une fuite de données, un « leak » ?

Non

Contrairement à ce qu’affirment certains commentateurs sur les réseaux sociaux, il ne s’agit donc pas d’une « fuite » (« leak ») de documents, mais d’une publication de documents obtenus par voie légale. Ces 3 200 e-mails envoyés ou reçus entre janvier et juin 2020 par Anthony Fauci, responsable de la gestion de l’épidémie de Covid-19 aux Etats-Unis, ont été obtenus par BuzzFeed et le quotidien The Washington Post en application de la loi sur la transparence et l’information de 1967 : le Freedom of Information Act (FOIA) permet à n’importe quel citoyen de demander la publication de documents fédéraux internes dont l’intérêt public est manifeste.

Cette diffusion est très encadrée. Les courriels n’ont pas été diffusés dans leur état initial : la plupart des adresses et numéros de téléphone ont été masqués, tout comme le texte de certains de certains d’entre eux.

Montrent-ils les critiques des scientifiques contre le président Donald Trump ?

Oui

Anthony Fauci, âgé de 80 ans, dont trente-cinq passés à la tête de la NIAID, échange avec de très nombreux scientifiques, qu’il a rencontrés dans des congrès ou qui le contactent spontanément pour soumettre leurs idées. En revanche, aucun e-mail échangé avec Donald Trump, qui était alors chef de l’Etat, ne figure parmi les documents publiés.

La correspondance de M. Fauci illustre la stupeur des chercheurs face aux positions populistes du président américain. Le 27 février 2020, la gériatre Suzanne Bradley relève ainsi qu’il semble ne vouloir faire que « diffuser de fausses informations » ; le 1er mars, un scientifique allemand, Jan-Philipp Hanke, suggère une campagne de sensibilisation sur YouTube, mais redoute l’idée que Mike Pence « n’essaie d’en faire des publicités de campagne pour Donald Trump ». Le même jour, le psychologue Lawrence O. Brown se dit « consterné et effrayé » par sa volonté de faire censurer les rapports du NIH, l’Institut national américain de la santé.

Révèlent-ils des échanges avec le patron de Facebook et la fondation Gates ?

Oui

Dans un e-mail du 27 février 2020, le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a proposé à Anthony Fauci l’appui des ressources de sa fondation pour accélérer le processus de mise au point et de validation d’un vaccin.

Moins surprenant, la Fondation Bill & Melinda Gates (avec laquelle Le Monde Afrique a un partenariat), actrice majeure du financement de la santé au niveau international, revient à plusieurs reprises dans les discussions, notamment pour financer des essais cliniques ou la politique de dépistage.

Fauci reconnaît-il dans ces échanges l’efficacité de l’hydroxychloroquine ?

Non

Des rumeurs diffusées notamment sur les réseaux sociaux affirment qu’Anthony Fauci reconnaît dans un de ces e-mails l’efficacité de l’hydroxychloroquine. Le Monde n’a pu trouver aucun document allant dans ce sens, mais le sujet est bel et bien évoqué, en particulier avec le président du conseil scientifique français, Jean-François Delfraissy.

Selon ces documents, le 25 mars 2020, ce dernier demande à son homologue américain s’il est en possession de remontées de terrain médicales concernant l’efficacité de l’hydroxychloroquine. M. Delfraissy juge que les données de Didier Raoult, le professeur défenseur de ce traitement, ne sont « pas particulièrement convaincantes », mais décrit un « buzz médiatique » et une « pression politique énorme ».

En réponse, Anthony Fauci concède être lui aussi confronté à une « forte pression aux Etats-Unis », favorisée par Donald Trump. Il écrit qu’il préférerait des essais cliniques randomisés pour trancher. Interrogé le 24 février sur une étude chinoise vantant la chloroquine et l’hydroxychloroquine contre les maladies dues au SARS-CoV-2, il se montre dubitatif : « j’aimerais voir leurs données », répond-il prudemment.

Les mails montrent-ils une volte-face sur l’utilité des masques ?

Oui

Comme l’ensemble de la communauté scientifique, le Dr Fauci a changé de position sur l’utilité des masques au cours la pandémie de Covid-19. Le 5 février 2020, il écrit que les masques que l’on peut acheter en boutique « ne sont pas vraiment efficaces pour se protéger du virus » et il n’en recommande pas l’usage, hormis pour les malades. Cet e-mail est cohérent avec ses positions publiques de l’époque.

Ce n’est qu’à partir du mois de juillet 2020, prenant acte de l’évolution des données scientifiques sur la transmissibilité aérienne du SARS-CoV-2, que le responsable de la lutte contre le Covid aux Etats-Unis recommandera son port dans les lieux peuplés, puis qu’il se prononce en faveur de sa généralisation au mois de novembre.

Le Dr Fauci avalise-t-il la thèse d’une fabrication du virus ?

Pas dans ces mails

Ce n’est pas parce qu’Anthony Fauci a reçu des courriels détaillant des théories non étayées qu’il les a reprises à son compte. Certains courriels soulèvent des hypothèses fantasques. C’est le cas par exemple de celui adressé par Michael Jacobs, un dermatologue, qui écrit que le SARS-CoV-2 est un virus qui a pu « être mélangé avec un autre organisme, comme de la levure ou un champignon ». Anthony Fauci ne lui a pas répondu.

En revanche, M. Fauci a demandé des informations sur l’origine du virus à des chercheurs spécialisés. Le 30 janvier 2020, il interroge ainsi le virologue américain Kristian G. Andersen, directeur du centre de recherche biomédicale américain Scripps Research, à propos d’un article de Science sur les origines possibles du SARS-CoV-2. Celui-ci lui répond que ses collègues et lui estiment « que le génome n’est pas cohérent avec ce que l’on attend de la théorie de l’évolution ». Il évoque « une toute petite part du génome (0,1 %) » qui « a l’air d’être potentiellement conçue par l’homme ». Anthony Fauci lui propose d’en discuter au téléphone. Le contenu de leurs échanges n’est pas connu.

Cinq semaines plus tard, Kristian G. Andersen remercie Anthony Fauci pour ses « conseils » et lui annonce que sa correspondance scientifique a été acceptée par la revue Nature Medecine. Dans celle-ci, il affirme qu’il est « improbable que le SARS-CoV-2 ait émergé d’une manipulation en laboratoire ». Interrogé sur ce revirement, l’intéressé évoque sur Twitter de « nouvelles données significatives, des analyses complètes, et beaucoup de discussions », selon Libération. Il a depuis supprimé son compte.

Par ailleurs, plusieurs e-mails concernent une étude indienne sujette à polémique et évoquant de possibles inserts de matériel génétique du virus du sida, le VIH, dans le génome du SARS-CoV-2 – une théorie popularisée en France par le Pr Luc Montagnier et massivement rejetée par les experts. Interrogé le 31 janvier par l’AFP, le service de presse du NIH refuse de répondre « sans des consignes d’en haut » (« high level input »), avant de remarquer que l’étude n’a pas été validée par des pairs, et a même été retirée. Le directeur de la communication du NIH ironise : « Parlez de remettre le génie dans la bouteille… »

Le 17 avril, Francis Collins, directeur du NIH, envoie à Anthony Faucy le lien vers un site conspirationniste affirmant que l’épidémie est sortie d’un laboratoire de Wuhan. La réponse d’Anthony Fauci est masquée dans les e-mails partagés à BuzzFeed. Dans un autre courriel, repéré par Libération, Peter Daszak, chercheur opposé à la thèse du virus issu d’un laboratoire, et critiqué pour ne pas avoir déclaré des liens avec l’institut de Wuhan dans une publication sur l’origine du virus, remercie le directeur du NIAID d’avoir appuyé publiquement la thèse d’une zoonose.

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