L’ancien ministre de Nicolas Sarkozy est engagé au côté de Marine Le Pen depuis 2018. Élu député européen sur la liste du Rassemblement national en 2019, il est désormais chef de file du RN en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Son profil doit permettre de convaincre les électeurs hésitants entre Les Républicains et le RN de basculer vers le parti d’extrême droite. Reportage.
L’image ressemble à une photo de famille recomposée. Au centre, les derniers arrivés : Jean-Paul Garraud et Thierry Mariani, anciennes figures du parti Les Républicains, élus eurodéputés du Rassemblement national en 2019 et désormais chefs de file du RN aux élections régionales (20 et 27 juin) en Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ils sont entourés du député du Gard Nicolas Meizonnet, des eurodéputés France Jamet et Gilbert Collard, et du maire de Beaucaire et porte-parole du RN, Julien Sanchez.
En cette matinée du mercredi 2 juin, rendez-vous a été donné au port du Grau-du-Roi, près de Montpellier, pour aborder la question des difficultés rencontrées par les pêcheurs de la côte méditerranéenne et critiquer l’installation des éoliennes en mer Méditerranée. La petite troupe vient de faire un tour en bateau. Le soleil brille. Plusieurs médias – nationaux et locaux – sont présents pour couvrir l’opération de communication. Tout est en place pour maximiser la pêche aux voix.
Les candidats du Rassemblement national aux régionales en Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur, Jean-Paul Garraud et Thierry Mariani, entourés d’élus du RN, le 2 juin 2021, au Grau-du-Roi. © Romain Brunet, France 24
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Car la stratégie du Rassemblement national dans ces deux régions du sud de la France est limpide : convaincre les électeurs de droite encore récalcitrants de voter pour le parti de Marine Le Pen grâce à des têtes de liste rassurantes car issues de LR.
Aux dernières élections régionales, en 2015, Marion Maréchal-Le Pen et Louis Aliot avaient échoué en Paca et en Occitanie malgré des scores élevés au premier tour. Avec Thierry Mariani, ancien ministre des Transports de Nicolas Sarkozy, et Jean-Paul Garraud, ancien député UMP de la Gironde de 2002 à 2012, le Rassemblement national espère changer la donne.
Les deux candidats ont parfaitement compris leur mission. C’est donc aux électeurs encore hésitants qu’ils s’adressent. « La seule alternative gaulliste, c’est nous », lance Thierry Mariani, lors de la conférence de presse organisée au Bar des Pêcheurs après la sortie en mer. L’ancien ministre souligne que la région doit l’essor du tourisme à la mission Racine lancée par Charles de Gaulle en 1963. Il évoque aussi la volonté du président Nicolas Sarkozy de mettre en place une politique méditerranéenne durant son quinquennat. De son côté, Jean-Paul Garraud rappelle qu’il a soutenu François Fillon jusqu’au bout lors de la dernière présidentielle. « J’étais sur l’estrade sous la pluie au Trocadéro », insiste-t-il.
Dans le bar, une vingtaine d’habitués sont attablés en terrasse. Ils écoutent d’une oreille distraite les candidats aux régionales. Midi approche, les verres de rosé et de pastis défilent. Quelques militants du RN sont tout de même présents. Ils ont fait le déplacement pour rencontrer Thierry Mariani. Ce dernier a beau être le chef de file du Rassemblement national en Paca, la région voisine, sa cote de popularité rayonne aussi en Occitanie. La vedette du jour, c’est lui.
Une figure politique de la région
À 62 ans, l’eurodéputé savoure. Il paye sa tournée à la tablée de sympathisants et en profite pour décocher quelques flèches en direction de son adversaire, le candidat LR et président sortant de la région, Renaud Muselier, le tout sous l’œil des caméras.
Thierry Mariani se donne le beau rôle. « J’ai l’impression qu’il [Renaud Muselier] veut transformer cette élection en combat entre deux mauvais rappeurs, style Kaaris et Booba », plaisante-t-il, tout en enfonçant le clou au sujet de la polémique sur le nombre de fonctionnaires territoriaux recrutés par les services de communication de la région ces six dernières années.
Surtout, il ne cesse de rappeler que lui ne pactisera jamais avec La République en marche et Emmanuel Macron. L’annonce par le Premier ministre Jean Castex, début mai, de l’alliance entre Renaud Muselier et la secrétaire d’État Sophie Cluzel, suivie de vifs débats internes chez LR entre partisans d’une alliance franche avec LREM et tenants d’une ligne indépendante, a fait les affaires du RN. Alors que Thierry Mariani ne récoltait dans les études d’opinion que 29 % d’intentions de vote début mars, le dernier sondage Ifop, publié le 1er juin par Le Figaro et LCI, lui accorde 39 % des voix au premier tour, contre 35 % pour Renaud Museler. Au second tour, le candidat RN est donné vainqueur en cas de triangulaire avec le candidat LR et Jean-Laurent Félizia (EELV-PS-PCF). Dans l’éventualité d’un désistement de la gauche, Thierry Mariani serait au coude-à-coude avec le président sortant.
« Je suis resté fidèle à mes idées »
Les deux candidats qui se disputent l’électorat de droite en Paca sont pourtant d’anciens amis. Et pour cause, ils ont tous deux construit leur carrière politique dans cette région il y a une trentaine d’années. Quand Renaud Muselier devenait conseiller général (1992-1995) puis député des Bouches-du-Rhône (1993-2002 et 2007-2012), Thierry Mariani s’établissait comme maire de Valréas (1989-2005) puis député du Vaucluse (1993-2010). L’actuel candidat du RN a même été le candidat de l’UMP aux régionales de 2010 en Paca face à un certain… Jean-Marie Le Pen.
À l’époque, Thierry Mariani dit combattre l’extrême droite, mais il représente déjà une sensibilité très droitière au sein du parti présidentiel. Il s’est notamment fait remarquer en 2007, lors de l’examen du projet de loi sur l’immigration, avec deux amendements qui font couler beaucoup d’encre : l’un visant à autoriser le recours aux tests ADN lors de la délivrance des visas de plus de trois mois dans le cadre du regroupement familial, l’autre interdisant l’hébergement d’urgence aux personnes en situation irrégulière. Aucun des deux amendements ne survivra à l’examen du texte au Sénat.
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En 2010, avec une quarantaine de députés UMP, Thierry Mariani crée le collectif La Droite populaire, qui souhaite alors durcir le ton sur les questions de sécurité et d’immigration. Thierry Mariani est également connu pour ses prises de position en matière de politique étrangère, tels que son fervent soutien au régime de Vladimir Poutine – il approuve l’annexion de la Crimée par la Russie – ou ses multiples rencontres avec Bachar al-Assad en pleine guerre civile en Syrie.
Un entourage de campagne sulfureux
Le pas à franchir pour rejoindre le RN n’était finalement pas si grand que ça. « Je suis resté fidèle à mes idées. Or, les idées que j’ai toujours défendues, je les retrouve désormais derrière Marine Le Pen et derrière le Rassemblement national, confie-t-il à France 24. Je considère qu’aujourd’hui le Rassemblement national est un parti tout à fait républicain. Personne ne croit sincèrement que la République serait en danger si le Rassemblement national et les gens comme moi l’emportaient dans une région. »
L’affirmation est contestable : la proximité entre Marine Le Pen et des anciens du Groupe Union Défense (GUD), une organisation étudiante d’extrême droite connue pour ses actions violentes, ont été révélées à plusieurs reprises dans les médias et le RN investit régulièrement aux élections locales – c’est à nouveau le cas en 2021 – des candidats antisémites ou au passé sulfureux. Ainsi, le codirecteur de campagne de Thierry Mariani n’est autre que Philippe Vardon, une figure de l’ultradroite identitaire, condamné en 2007 pour incitation à la haine raciale. On retrouve aussi sur la liste du RN en Paca Frédéric Boccaletti, ancien patron de la librairie Anthinéa, à Toulon, connue pour ses livres d’extrême droite.
Peu importe, considèrent les stratèges du Rassemblement national, puisque la plupart des électeurs s’arrêteront au nom de Thierry Mariani. Un homme politique considéré comme respectable, passant bien dans les médias qui ne rechignent jamais à l’inviter, et qui permet à Marine Le Pen de poursuivre sa stratégie de normalisation du RN.
D’ailleurs, lorsque, quelques heures après avoir quitté les pêcheurs du Grau-du-Roi, l’ancien ministre fait la tournée des commerçants à Arles, c’est bien cette nouvelle image du parti qu’il tente de vendre aux électeurs. Il est accompagné pour l’occasion par le binôme de candidats RN aux départementales dans le canton d’Arles, Alexia Flayol et Enzo Alias-Blanes. Tous deux ont moins de 30 ans, un sourire susceptible d’amadouer les plus frileux et un passé vierge de tout dérapage. « Entre le Front national et le Rassemblement national, il y a une autre génération », assure Thierry Mariani au micro de France 24.
La visite est menée au pas de charge, le candidat du RN ayant un train à prendre pour Paris, où le plateau de Franceinfo l’attend en tout début de soirée. À peine le temps de dire bonjour aux commerçants, de présenter rapidement les jeunes Alexia et Enzo, et de tendre un tract. Toutefois, la discussion s’engage parfois. Et là encore, Thierry Mariani fait preuve de tact, préférant se référer aux figures de son ancien parti plutôt qu’à Marine Le Pen.
À un entrepreneur du bâtiment qui lui fait part de sa difficulté à trouver de la main d’œuvre, l’ex-républicain, faute de programme publié, cite en exemple plusieurs mesures prises par le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez. Parfois, une réponse approximative et déviant sur un autre sujet permet de convaincre les interlocuteurs. Mais avec cet entrepreneur, ce n’est pas suffisant. « Je lui parle de BTP, il me parle d’agriculture, je reviens sur le BTP, il me parle sécurité et quand je lui demande sa position sur le contournement [un projet de contournement autoroutier de la ville divise les habitants d’Arles, NDLR], il me dit que ce n’est pas du ressort de la région », regrette Jean-Baptise Meloni.
Pour cet entrepreneur de 33 ans très critique du « dumping social imposé par l’Union européenne », « il n’y a aucune différence entre Thierry Mariani et Renaud Muselier ». « Ce sont des européistes, ils ont tous les deux voté oui au référendum de 2005 [sur le projet de Constitution européenne] », assène-t-il. En revanche, Jean-Baptiste Meloni aime bien Enzo Alias-Blanes. « C’est un jeune qui se bouge, qui s’engage, c’est bien. Je voterai sûrement pour lui aux départementales », admet-il. Et aux régionales ? La moue trahit un certain embarras. « Ce sera peut-être Mariani, mais vraiment par défaut… »
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