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Des drones “tueurs” autonomes ont-ils été déployés en Libye ?

Un rapport de l’ONU suggère que des drones kamikazes autonomes ont pu être utilisés par les forces gouvernementales libyennes en mars 2020, assure le site du New Scientist. Ce serait la première fois que ce type d’arme est utilisé sans aucune intervention humaine sur le champ de bataille. Mais des experts interrogés par France 24 mettent en garde contre des conclusions hâtives.

Des drones tueurs qui détectent, traquent et éliminent des cibles humaines de leur propre chef. Le cauchemar de bon nombre d’activistes et universitaires qui mettent en garde contre le développement d’armes autonomes semble s’être concrétisé en Libye, d’après un article du New Scientist publié en ligne lundi 31 mai.

La revue a été la première à relever dans un rapport de l’ONU de mars 2021 sur la situation en Libye un paragraphe qui a fait couler beaucoup d’encre depuis. La vénérable institution y décrit ce qui ressemble « au premier cas documenté de drones autonomes qui auraient attaqué des humains en mars 2020 », écrit le magazine scientifique.

Discours marketing ?

La découverte du New Scientist a déclenché un déluge d’articles sur l’avènement de l’ère des drones tueurs qui n’ont plus besoin de l’homme pour appuyer sur la gâchette. « On savait que la technologie existait, mais on se demandait qui allait l’utiliser en premier sur le champ de bataille », note David Dunn, professeur de relations internationales et spécialiste de l’utilisation militaire des drones à l’université de Birmingham, contacté par France 24.

Le problème, souligne cet expert, est que le rapport de l’ONU ne permet pas encore de dire que cette étape a été franchie. Il décrit l’utilisation par les forces gouvernementales libyennes pour traquer un convoi de troupes loyales au maréchal libyen dissident Khalifa Haftar de drones turcs Kargu-2 qui sont « des systèmes d’armes létales autonomes programmés pour attaquer des cibles sans nécessiter une connexion électronique entre l’opérateur [humain] et l’arme », précisent les auteurs du rapport.

Une définition qui correspond, ni plus ni moins, au résumé de la description que le fabricant turc de ces drones, la société STM, fournit sur son site Internet. Des affirmations qui sont à prendre avec des pincettes, souligne Chris Cole, directeur de l’ONG britannique Drone Wars UK, qui a publié plusieurs rapports sur les drones militaires. « Il y a souvent du marketing dans la manière dont les capacités des drones sont présentées par leurs constructeurs », explique-t-il à France 24. « La technologie ne fonctionne pas toujours comme annoncée lorsqu’elle est déployée en situation opérationnelle », confirme Bruno Martins, spécialiste des technologies militaires émergentes au Peace Research Institute d’Oslo (Prio), contacté par France 24.

Mais même si le Kargu-2 était capable de voler et tuer sans la moindre intervention humaine, rien dans le rapport de l’ONU n’indique qu’il est passé à l’acte. Les experts du panel sur la Libye indiquent seulement que ces « armes programmées pour être autonomes » ont participé à la traque des fidèles du maréchal Haftar.

Il n’est pas non plus précisé si l’éventuelle décision de frapper a été prise, in fine, par l’homme ou la machine. Le Kargu-2, comme d’autres drones du même type, peut toujours être contrôlé par un humain, précise d’ailleurs le site de STM. « La vraie question est de savoir si on a franchi cette ligne rouge de laisser un drone prendre seul l’initiative, et le rapport ne permet pas de trancher », résume Bruno Martins.

Les drones kamikazes ne sont pas nouveaux

Des drones bourrés d’algorithmes et d’intelligence artificielle capables de tuer sur commande ne sont, en effet, pas une nouveauté. « C’est ce que l’on appelle des drones kamikazes et ils sont utilisés sur le champ de bataille depuis un certain temps », explique Ulrike Franke, spécialiste des drones et des technologies militaires au Conseil européen des relations internationales, contactée par France 24.

Les Israéliens ont été les premiers à en fabriquer dans les années 1980 et « leur utilisation s’est étendue lors du conflit dans le Haut-Karabakh (en 2016) », rappelle cette experte. Les affrontements qui ont éclaté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en juillet 2020 « ont même été surnommés la ‘guerre des drones’ à cause du recours à ces engins kamikazes », souligne le site de l’ONG Drone Wars UK.

Mais même ces engins sont déjà trop autonomes au goût de certains. « Ils sont capables de voler en escadrille sans être dirigés à distance, et peuvent traquer leur cible dans un périmètre donné et l’identifier en fonction de sa signature électronique ou thermique », explique Bruno Martins. En d’autres termes, ils peuvent trouver tout seul un signal radar, un camion de munitions ou des troupes au sol selon les indications qui ont été inscrites dans leur programme. Une fois que le drone kamikaze a acquis sa cible, il attend généralement que l’opérateur humain lui donne le feu vert pour s’abattre sur lui comme un missile.

À l’inverse, si le drone devait agir « sans intervention humaine, cela impliquerait des questions éthiques d’un autre ordre comme de savoir si une intelligence artificielle peut déterminer ce qui représente une cible légitime », souligne David Dunn, de l’université de Birmingham.

Risque de prolifération

Côté turc, la volonté de rendre les drones plus autonomes pour identifier les cibles semble bien réelle. Murat Ikinci, le PDG de STM, a ainsi assuré en 2019 au quotidien Hürriyet que ses Kargu étaient équipés d’une technologie… de reconnaissance faciale. Mais là encore, il est difficile de faire la part entre le discours marketing et la réalité, assurent les experts interrogés par France 24.

Même si, au final, le drone identifié par l’ONU en Libye l’an dernier n’est pas aussi autonome qu’on pourrait le croire, le simple fait que cette possibilité soit sérieusement envisagée montre à quel point le problème est devenu urgent. « Ces technologies peuvent être facilement adaptées à la plupart des drones commerciaux disponibles pour relativement peu d’argent, ce qui veut dire que la possibilité de se doter d’armes létales autonomes ne sera pas limitée aux grands pays riches », avertit David Dunn.

C’est pourquoi il estime urgent que la communauté internationale se dote rapidement d’une définition de ce qu’est un système d’armes létales autonome. Car le flou règne à l’heure actuelle, et « sans ça, il est impossible de réguler ces drones et donc d’en contrôler la prolifération », conclut cet expert britannique.

Pour Ulrike Franke, la spécialiste du Conseil européen des relations internationales, c’est le principal intérêt du rapport de l’ONU. « Pour la première fois, un document officiel associe drone kamikaze et armes létales autonomes », souligne-t-elle. C’est peut-être un signe que l’ONU veut avancer sur cette question.

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