Relâché dans le sud de la France en mai 2020, un Gypaète barbu est mort percuté par une éolienne… aux Pays-Bas. Il s’agit du premier cas déclaré de mortalité de cette cause pour l’espèce en Europe. La Fondation 30 Millions d’Amis partage le cri d’alarme de la LPO et dénonce l’inaction des exploitants éoliens pour protéger la biodiversité.
Les ailes brisées ! Un an – presque jour pour jour – après avoir été relâché dans la nature en France, Angèle, un jeune vautour mâle, est mort percuté par les pâles d’une éolienne aux Pays-Bas (26/05/2021). Réintroduit dans la Drôme par l’association Vautours en Baronnies, l’animal portait en lui l’espoir de la survie de son espèce. Surnommé « casseur d’os » en raison de ses us alimentaires, le Gypaète barbu (Gypaetus barbatus) bénéficie en effet du programme européen LIFE Gypconnect visant à reconnecter les populations pyrénéenne et alpine de ce vautour charognard, longtemps persécuté par l’Homme au point de disparaître totalement d’Europe au XXe siècle.
Un périple fatal
Mais pourquoi le jeune vautour s’est-il aventuré aussi loin du lieu où il avait été relâché sous la surveillance attentive des chercheurs et des bénévoles associatifs ? « Angèle était dans sa « phase d’erratisme », c’est-à-dire d’exploration sur de longues distances avant de se fixer sur son territoire définitif [correspondant souvent au lieu du lâcher initial, NDLR], répond Pascal Orabi, coordinateur du projet LIFE Gypconnect à la LPO, joint par 30millionsdamis.fr. Lorsque l’oiseau – équipé d’une balise GPS – entre sur le territoire étranger, nous prenons contact avec des personnes sur-place. » Ce fut le cas pour le jeune vautour qui, une fois franchie la frontière néerlandaise, a été suivi de près par la Fondation pour la Conservation des Vautours (VCF), partenaire du projet de réintroduction.
La probabilité de mortalité de Gypaètes à cause des éoliennes ne peut qu’augmenter.
Pascal Orabi, LPO
Averti que l’animal s’approchait dangereusement d’un parc éolien, le président de l’antenne hollandaise de la VCF tente immédiatement de prévenir les gestionnaires pour leur demander d’arrêter leurs turbines le temps que le vautour s’éloigne. « Le lendemain, Angèle est mort. Nous ne savons pas avec certitude si ce sont bien les exploitants du parc éolien concerné qui ont été prévenus. Ce que l’on sait, c’est que ça n’a pas marché », regrette Pascal Orabi de la LPO. Si le drame a cette fois-ci eu lieu hors des frontières hexagonales, le responsable de mission prévient : « Globalement, le gisement éolien en France correspond à la présence des vautours. Pour l’instant, on est sur des populations en cours de réintroduction avec peu d’individus, ce qui explique le faible risque de mortalité. La probabilité ne peut donc qu’augmenter dans les années à venir ! »
Des systèmes de prévention défaillants ?
En janvier de l’année précédente, c’est une aile de Vautour moine (Aegypius monachus) qui avait été retrouvée au pied des éoliennes du parc de Bernagues, dans l’Hérault (14/01/2020). L’appareil était pourtant équipé d’un « dispositif de détection et d’effarouchement ». « Au Portugal, on fait appel à des radars pour détecter des vols d’oiseaux et mettre au repos les éoliennes à proximité, ce qui est très efficace. Tandis qu’en France, on installe des systèmes qui, la plupart du temps, ne sont pas opérationnels, n’ayant même pas dépassé le stade de recherche et développement ! », s’indigne le coordinnateur de Gypconnect à la LPO. Pire, les risques posés par les parcs éoliens aux oiseaux d’espèces menacées seraient délibérément niés… avant même la construction des infrastructures.
« Lors de l’implantation des parcs éoliens, les mesures préventives peuvent porter sur la disposition et l’espacement entre les éoliennes, et surtout, sur l’analyse cartographique des zones de présence des oiseaux », explique Pascal Orabi. Or, bien qu’ils soient tenus de demander une dérogation au titre des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) avant de s’installer, les futurs exploitants ignoreraient trop souvent cette exigence légale. Le chargé de mission à la LPO dénonce également un « conflit d’intérêts » : « Dans l’Aude par exemple, les porteurs de projets prospectent les communes pour implanter leurs éoliennes. Aux maires – qui sont souvent propriétaires terriens – les prospecteurs disent : « si vous avez mis des placettes d’équarrissage [zones où les éleveurs déposent les carcasses d’animaux morts naturellement afin de favoriser la survie des vautours, NDLR], on n’installera pas d’éoliennes et vous perdrez les revenus ». »
Un « bras de fer » avec les exploitants d’éoliennes
S’ensuivraient des relations d’autant plus tendues avec les associations : « Alors que sur le réseau électrique, l’entreprise Enedis [distributeur d’électricité en France, NDLR] se mobilise rapidement pour sécuriser la ligne lorsque nous signalons un danger pour l’avifaune, les exploitants éoliens, eux, nous opposent une fin de non recevoir. Impossible de discuter avec eux… C’est un vrai bras de fer ! », dénonce le responsable du programme Gypconnect, assurant que si un Gypaète barbu venait à mourir à cause d’une éolienne sur le territoire français, une plainte serait alors déposée pour « destruction d’espèce protégée ». Un délit sanctionné d’une peine de 2 ans de prison et 150.000 euros d’amende selon l’article L 415-3 du code de l’Environnement.
La lutte contre le changement climatique ne se fera pas sur le dos de la biodiversité.
Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO
Toutefois, pour tenter de prévenir de futurs drames, la LPO a réalisé des cartographies répertoriant à la fois les zones de présence d’espèces vulnérables ainsi que les parcs éoliens existants ou en projet. Des documents transmis à l’administration ainsi qu’aux exploitants. « Ils ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas informés, conclut Pascal Orabi. C’est très bien de développer les énergies renouvelables, mais pas n’importe comment. » « Porté par des ambitions louables en matière de transition écologique, le gouvernement mène aujourd’hui une politique très incitative en faveur de l’énergie éolienne sans respecter ses propres engagements internationaux en matière de biodiversité, confirme Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO. La lutte contre le changement climatique ne se fera pas sur le dos de la biodiversité. Il est temps d’arrêter le développement des parcs photovoltaïques plein champs et des parcs éoliens dans les zones européennes Natura 2000 classées pour protéger notamment les oiseaux et les chauves-souris ».
Sur la centaine d’espèces – principalement des oiseaux et des chauves-souris – retrouvées au pied des éoliennes, 75 % sont officiellement protégées, selon la LPO (rapport « Climat et biodiversité », ORÉE, 2017). Les oiseaux migrateurs représenteraient 60 % des cadavres récupérés. Des chiffres à considérer avec prudence, car basés sur les déclarations des exploitants d’éoliennes eux-mêmes, mais qui devraient néanmoins nous inciter à (ré)agir face à ce fléau en pleine expansion : au cours des deux dernières décennies, l’énergie éolienne a été l’une des technologies de production d’énergie qui a connu la plus forte croissance, selon une étude synthétisée par la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB, 2019).
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