Il semble loin le temps où l’armée algérienne faisait mine de se tenir éloignée de la « politique ». Elle occupe désormais au grand jour les écrans de la télévision publique. Jusqu’à y diffuser un documentaire produit par ses soins pour y diaboliser ses opposants et les journalistes un peu trop critiques à son goût.
« Une guerre de quatrième génération, informationnelle, menée via les médias par des puissances étrangères dont le dessein est un retour du colonialisme et une nouvelle occupation du pays » : c’est le conflit qui, si l’on en croit les militaires, oppose l’Etat à ses « ennemis ». Soit l’opposition et les médias.
« Les graines de la destruction »
Intitulé Qui vise l’Algérie ? La vérité complète, le documentaire présente pendant 37 minutes le Hirak – le mouvement de protestation que connaît le pays depuis deux ans – comme un mouvement infiltré par des organisations terroristes. Les indépendantistes kabyles, la mouvance islamiste, les télévisions publiques françaises, la France, Israël et le Maroc sont cités pêle-mêle comme les instigateurs du complot.
Un ensemble de forces qui « s’agitent sous le couvert du Hirak pour planter les graines de la destruction », affirme le reportage, agrémenté d’une bande-son aux accords dramatiques et d’images de Palestine, de la guerre d’Algérie ou d’attentats.
En tombée de rideau de cette charge d’une violence inouïe, ponctuée par les avis de deux « experts » présentés comme chercheurs en sciences internationales – en fait le directeur de la chaîne Canal Algérie et un cadre du ministère de l’intérieur –, le générique est inédit. Diffusé sur la principale chaîne publique le 17 mai, Qui vise l’Algérie ? a été produit par la Société militaire de production audiovisuelle, un organisme du ministère de la défense, et entièrement réalisé par des officiers, de la prise de son au montage.
Pourquoi l’armée algérienne s’est-elle elle-même exposée, sans se réfugier derrière une production maison de médias gouvernementaux ? Le lendemain de la première diffusion, le Haut Conseil de sécurité algérien (HCS) classait les islamistes du mouvement Rachad et les indépendantismes du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) comme « organisations terroristes ».
La France visée
Mais si les premiers sont effectivement présents dans le Hirak, ils sont très loin d’y être majoritaires, les manifestations rassemblant divers courants de l’opposition. Quant aux seconds, ils n’ont jamais caché leur mépris pour un mouvement de protestation qu’ils jugent trop national et « algérien ».
Qu’importe. Les deux groupes, « racistes et haineux », auxquelles les puissances étrangères ont confié la mission de déstabiliser le pays, auraient fait de certaines capitales leur base arrière et de recrutement, décrit une voix off. A l’écran, défilent les images des plateaux des télévisions TV5 Monde et France 24 et celles de journalistes d’origine algérienne qui y travaillent ou d’opposants algériens qui y ont été conviés.
Les figures du mouvement islamiste ou du MAK ont beau n’avoir jamais été invitées à s’exprimer sur France 24 ou TV5 Monde, les militaires producteurs visent néanmoins la France. Et ce, même si Paris ne cesse de ménager Alger depuis l’élection d’Abdelmadjid Tebboune. Les journalistes d’origine algérienne qui travaillent dans des médias de l’ancienne puissance coloniale endossent, eux, l’habit du traître.
En Algérie même, un journaliste, Rabah Kareche, est en prison. Un second, Kenza Khatto, a été condamnée le 25 mai en première instance à une peine d’emprisonnement d’un an. Elle avait été arrêtée alors qu’elle couvrait une manifestation à Alger.
En deux semaines, plus de 2 000 manifestants ont été interpellés, dont près d’une centaine a été placée en garde à vue et une soixantaine sous mandat de dépôt, selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH).
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