TF1 et M6 voient dans leur fusion une chance de renforcer l’audiovisuel français face aux géants du streaming, mais elle inquiète les producteurs qui craignent un amoindrissement de leurs débouchés et de leur poids de négociation.
Ce rapprochement, « c’est une déflagration pour toute l’industrie dans les différents genres », fiction, animation, documentaire comme émissions dites de flux (jeux, magazines, divertissements), déclare à l’AFP Stéphane Le Bars, délégué général de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA).
Aux antipodes, Olivier Roussat, directeur général de Bouygues, propriétaire de TF1, estime que ce nouvel ensemble, « à même de lutter contre les Gafan » (Google, Amazon, Facebook, Apple et Netflix, NDLR), « est essentiel pour garantir l’indépendance à long terme de la création française de contenu » et proposer des « contenus locaux diversifiés ».
TF1 et M6 projettent de créer leur propre offre de streaming par abonnement (SVOD) ainsi qu’une plateforme commune basée sur les services existants, MyTF1 et 6Play.
La fusion « a pour objectif de pouvoir investir plus dans la production de contenus locaux. Donc, mécaniquement, cette opération apportera plus de moyens aux producteurs indépendants », a plaidé Thomas Rabe, PDG de Bertelsmann, la maison mère de M6, dans Le Figaro.
« Cela pourrait créer une dynamique, encore faut-il nous le prouver », réagit auprès de l’AFP Jérôme Caza, président du Syndicat des producteurs créateurs de programmes audiovisuels (Spect). Qui pour le moment voit plutôt « le marché se rétrécir ».
Au lieu de « deux grands groupes représentant dix chaînes et environ 40% des commandes de l’audiovisuel » hertzien, les producteurs risquent de se « retrouver avec un seul guichet » et des « capacités de négociation amoindries face à un groupe en position de force », analyse-t-il.
Autre crainte du Spect, qui fédère 55 sociétés: « Si TF1/M6 décidait de produire uniquement en interne toutes les émissions de flux, pour lesquelles il n’existe pas de régulation, nous n’aurions plus que nos yeux pour pleurer ».
Enfin, TF1 et M6 devront a priori céder trois chaînes de la TNT pour être autorisées à se marier.
« Quelles chaînes vont disparaître ? Quels vont être les pans d’activité impactés ? », s’interroge Stéphane Le Bars. Il cite l’exemple de la chaîne jeunesse Gulli, détenue par M6, dont le devenir « n’est pas anodin pour l’industrie de l’animation française ».
– Course aux contenus –
Pour Philippe Bailly, président du cabinet spécialisé NPA Conseil, il n’y a « pas de fort danger de concentration à court terme pour les producteurs ». « Il ne faut pas regarder le paysage seulement au niveau télé ».
Avec la prochaine entrée en vigueur du décret sur les « services de médias audiovisuels à la demande » ou SMAD, qui fixe les modalités de contribution des géants internationaux du streaming à la production française, ces géants « vont verser dans le pot commun » et « les producteurs vont avoir de plus en plus de clients potentiels », anticipe-t-il.
Une contribution qui devrait peser entre 150 et 200 millions d’euros par an uniquement pour Netflix.
« Cela va irriguer une partie du secteur, peut-être quelques dizaines de sociétés de productions, (…) mais il faut arrêter de nous faire croire que c’est la ruée vers l’or », modère Jérôme Caza, rappelant qu’une série « ambitieuse » coûte 20 à 30 millions.
Reste qu’ »il vaut mieux être grand et solide que petit dans ce métier », note Michel Abouchahla, président de l’hebdomadaire spécialisé Ecran Total.
« Ce mariage fait de TF1/M6 un groupe très important sur le plan européen » doté d’une plus grande « force de frappe » notamment dans l’achat de contenus, nerf de la guerre du streaming, aujourd’hui dominé par les Américains, dit-il.
Car si l’opération effraie en France, ce nouveau champion hexagonal resterait modeste face aux colosses du streaming. Dont le numéro un, Netflix, avec 208 millions d’abonnés, 6,6 milliard de dollars de revenus en 2020 et plus de 17 milliards de dollars à investir en contenus cette année.
Réunis TF1 et M6 tablent sur un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros et pèseraient moins de 5% de la production de fiction en Europe, selon une estimation de Gilles Fontaine de l’Observatoire européen de l’audiovisuel.
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