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Sergueï Gouriev : « La cote de popularité de Poutine est le ciment du système russe »

Sergueï Gouriev est professeur d’économie à Sciences Po Paris, après avoir été économiste en chef de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) de 2016 à 2019. C’est aussi un familier de l’opposant russe Alexeï Navalny, détenu en prison depuis son retour de soins en Allemagne, en janvier.

L’été 2020, marqué par l’empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny et les protestations de masse en Biélorussie, constitue-t-il un tournant dans l’histoire du poutinisme ?

Chaque année, [le président Vladimir] Poutine franchit de nouvelles lignes rouges. Depuis 2003 et l’arrestation de Mikhaïl Khodorkovski [ex-patron du groupe pétrolier Ioukos, détenu pendant dix ans], on ne cesse de dire que ce qui se passe est sans précédent. L’été 2020 s’inscrit dans cette logique. En juin et juillet, la popularité du président était en baisse dans les sondages, autour de 60 %, alors qu’elle dépassait les 85 % au moment de l’annexion de la Crimée, en 2014. Au début de la pandémie de Covid-19, Poutine s’est contenté de soutenir les familles avec enfant(s), tandis que Navalny, lui, avait proposé de confiner, mais aussi de payer les gens quand ils restent à la maison. Ce dernier disait : « Puisque l’Etat a de l’argent de côté pour les jours pluvieux, utilisons-le. » Cela lui a valu de nombreux soutiens. C’est l’une des raisons de son empoisonnement.

Pourquoi focaliser votre analyse sur Poutine ? Le régime n’a-t-il pas aussi ses propres dynamiques ?

Il s’agit d’un système complexe, mais avant tout d’une institution personnelle. Ce n’est pas comme en Iran, où la dimension religieuse est décisive, ou comme en Turquie, où il existe de vrais partis, malgré la prédominance de [Recep Tayyip] Erdogan. A Moscou, le FSB [le service de sécurité intérieure, ex-KGB] est très puissant, mais il est soumis à des luttes internes. Dans une affaire comme celle de Navalny, Poutine est aux commandes. Il peut commettre des erreurs, être mal informé, mais c’est lui qui prend les décisions.

Quelles sont les leçons tirées par Moscou des manifestations qui ont suivi, en Biélorussie, la réélection contestée du président Loukachenko, le 9 août 2020 ?

Moscou s’est montré très préoccupé, tout en regardant avec un certain mépris Alexandre Loukachenko. Ce dernier a sous-estimé le pouvoir d’Internet et le rôle des femmes, omniprésentes dans la contestation. Le président biélorusse vit encore au XXe siècle, estime le régime de Poutine, qui, lui, ne commet pas de telles erreurs : il dispose de hordes de trolls et n’aurait jamais accepté que prenne part à l’élection l’épouse d’un candidat emprisonné [telle Svetlana Tikhanovskaïa en Biélorussie].

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