France World

« On est toujours là, on n’a jamais abandonné » : pour « les Karachi », la vérité entravée

Par Béatrice Gurrey

Publié aujourd’hui à 01h39

Réservé à nos abonnés

Enquête« Affaire Karachi, l’épreuve sans fin » (2/2) Second volet de l’enquête du « Monde » sur l’attentat commis au Pakistan contre des employés français des chantiers navals : dix-neuf ans après, les victimes cherchent toujours à dénouer les secrets d’un dossier que la justice n’a jamais bouclé.

Quand il reprend connaissance, au Jinnah Hospital de Karachi, ce 8 mai 2002, Laurent Leveziel se croit aveugle et paralysé. Plus tard, dans une lueur de conscience, il aperçoit son tibia et son péroné hors de sa jambe. Ses orteils pendent au bout des tendons. « La jeune fille qui a tenu mes pieds pour les radios, elle pleurait. » Le coccyx et deux vertèbres cassés, cœur, foie et poumons endommagés. « Mes deux pieds sont refaits avec mes hanches et n’ont plus aucune mobilité. J’ai des bouts de ferraille partout. » Treize opérations, deux ans de fauteuil roulant et le soutien permanent d’une canne, « sinon, je serais toujours par terre… », observe l’ingénieur de la Direction des constructions navales (DCN).

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Dix-neuf ans après, je ne pensais pas pleurer » : à Cherbourg, les oubliés de l’attentat de Karachi

Malgré ses pieds « gros comme des ballons de foot », la pièce métallique plantée dans son crâne et la « purée d’os » de son bras gauche – il ne pourra plus jamais tourner sa paume vers le ciel –, Gilles Sanson s’est extrait en rampant de la carcasse du bus qui devait les transporter, lui et ses collègues, comme chaque matin, vers le chantier où le sous-marin français de classe Agosta est assemblé. « Je pensais qu’on allait tous griller après avoir subi la pression, énorme, énorme, du blast. » Il s’assied sur l’asphalte brûlant au bord du cratère creusé par la bombe – 2,70 mètres de diamètre. Le spécialiste des commandes numériques essaie de s’auto-évaluer : « Je me disais que j’allais mourir. »

« Un amas d’os »

Frédéric Labat, l’ami et voisin habituel dans le bus, s’est assis côté vitre. D’innombrables éclats de verre l’ont atteint comme des balles. « Polycriblage de la face et du dos », apprendra « Fredo », le beau gosse un peu timide, mécanicien-ajusteur puis usineur à la DCN. Une thrombose dans le bras droit, des chevilles en miettes, « un amas d’os ». Et tant de chirurgie à venir. « Si j’ai des gens à remercier, c’est le Val-de-Grâce et Percy [deux hôpitaux militaires]. Si vous pouviez le mettre, ça me ferait plaisir. Ce sont les seules personnes que je ne remercierai jamais assez. » Il est possible qu’une larme ait glissé sur ce visage miraculeusement réparé.

Les victimes de l’attentat ont presque toutes reçu des éclats de verre ou de métal. Jérôme Eustache en a encore dix-sept dans le crâne et dans la gorge. Son organisme les a acceptés, dix-neuf ans après. Les retirer serait pire et on lui en a déjà enlevé beaucoup : de la médecine de guerre. Il lui a fallu un an pour pouvoir reposer le pied gauche par terre, un an et demi pour remarcher. Acouphènes, séquelles auditives, comme bien d’autres. Gilbert Eustache, sans lien de parenté avec Jérôme, pense qu’il a fait « une rupture d’anévrisme ». En fait, c’est une hémorragie dans les deux poumons, entre autres. Et bel et bien un attentat.

Il vous reste 88.67% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source

L’article « On est toujours là, on n’a jamais abandonné » : pour « les Karachi », la vérité entravée est apparu en premier sur zimo news.