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L’Espagne au cœur de la géopolitique migratoire en Méditerranée

Des soldats espagnols près de la frontière hispanico-marocaine, le 20 mai 2021 à Ceuta. JON NAZCA / REUTERS

La tension hispano-marocaine autour de Ceuta n’est pas fortuite. Elle est le révélateur d’une nouvelle géopolitique migratoire en Méditerranée où l’on voit les zones de friction se déplacer de l’est vers l’ouest. En somme, le trio Maroc-Algérie-Tunisie prend désormais le pas sur la Libye et la Turquie, les deux tremplins privilégiés dans la grande crise de 2015-2016 comme couloirs de passage vers l’Europe. Et, dans cette reconfiguration, l’Espagne, le seul pays européen à avoir une frontière terrestre avec l’Afrique grâce à ses enclaves de Ceuta et Melilla, est aux premières loges.

En 2016, la péninsule ibérique ne représentait (avec 13 246 migrants et réfugiés débarqués sur son sol) que 3,4 % du total des arrivées sur le Vieux Continent, très loin derrière la Grèce (45,6 %) et l’Italie (46,7 %), selon les chiffres de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Quatre ans plus tard, la hiérarchie s’est inversée. Avec un chiffre en valeur absolue qui a triplé (à 41 861 arrivées), l’Espagne est devenue en 2020 le principal pays de débarquement en Europe, absorbant 42 % du flux, devant l’Italie (34,3 %) et la Grèce (14,8 %). Le tarissement du courant migratoire sur ces deux derniers pays est dû à une assistance européenne aux Etats de transit – accord conclu en mars 2016 entre Bruxelles et Ankara, financements des gardes-côtes libyens, aides au Niger – dont les effets ont fini par se faire sentir.

Populations riveraines

Mais, alors que la crise s’apaisait sur ces routes de la Méditerranée orientale et centrale, les clignotants sont passés au rouge dans la zone occidentale. L’aspect inquiétant pour l’Europe est qu’il ne s’agit pas – pour l’essentiel – d’un redéploiement géographique du flux précédent qui contournerait ainsi les obstacles placés en Libye et en Turquie. La dynamique migratoire est différente car elle implique, cette fois, les populations riveraines et non plus seulement des migrants extérieurs – subsahariens, syriens ou afghans – en transit.

Trois facteurs y ont contribué. D’abord, la dégradation de la situation socio-économique en Tunisie, qui fournit désormais le premier contingent national de migrants arrivés en Italie (un tiers) alors que sa part était marginale lors de la précédente crise de 2015-2016. Ensuite, l’Algérie, minée par une double crise politique (la répression du Hirak) et économique (chute des revenus pétroliers), est le théâtre d’une reprise des départs vers l’Espagne. Le nombre d’Algériens débarqués sur la péninsule a été multiplié par 2,7 entre 2019 et 2020, selon les chiffres du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). Ils représentent désormais 40 % des arrivées en Espagne.

Enfin, et surtout, l’attitude du Maroc constitue un défi épineux pour l’Europe. Alors que Bruxelles a mobilisé près de 343 millions d’euros depuis 2014 pour aider Rabat à maîtriser ses flux migratoires, les Marocains ont à l’évidence levé le pied ces derniers mois – ainsi que l’illustre avec éclat la crise de Ceuta – afin d’imposer aux Européens leurs exigences sur le conflit du Sahara occidental. Le doute n’est pas permis : 55 % des arrivées en Espagne en 2020 (23 025 sur 41 861) provenaient des îles Canaries, un nombre en augmentation de… 753 % en l’espace d’un an. Or ce flux inédit – atlantique cette fois – prend essentiellement sa source sur les côtes du Sahara occidental, fermement contrôlées par l’armée marocaine. Le message adressé aux Espagnols et, au-delà, aux Européens est sans ambiguïté.

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