La mobilisation des Colombiens dans la rue ne faiblit pas depuis trois semaines. Méfiante envers les institutions et appauvrie par la pandémie de Covid-19, la jeunesse colombienne est particulièrement engagée dans ces protestations populaires.
Des manifestations massives, attisées par la répression policière, se succèdent en Colombie depuis le 28 avril. Au premier rang de la mobilisation, une jeunesse sans espoir, préoccupée par les violences policières et la pauvreté.
Sous la pression de la rue, le gouvernement a renoncé à un projet de hausse des impôts, déclencheur de la crise. Les violences pendant les manifestations ont fait au moins 42 morts, dont un policier, et plus de 1 600 blessés, selon les autorités. Mais depuis trois semaines, la mobilisation se maintient, révélant un profond malaise dans ce pays parmi les plus inégalitaires du continent.
La pandémie de Covid-19 a aggravé la pauvreté qui affecte désormais presque la moitié de la population (42,5 %). Près d’un tiers des jeunes n’étudient, ni ne travaillent (27,7 % des 14/28 ans), selon des statistiques officielles.
Un sondage de Cifras y Conceptos, auprès de 2 556 jeunes de 13 villes, montre leur méfiance envers la présidence, la police et l’armée, ainsi que leur préoccupation pour le chômage, la pauvreté, la corruption, l’insécurité, les inégalités, l’accès aux études et la santé. De ce que ressentent ces jeunes, « la tristesse est en tête à 33 %. C’est le message le plus dur de cette enquête (…) un concentré de problèmes, de frustrations et d’inquiétudes », explique César Caballero, directeur de l’institut.
« Le problème le plus grave pour les jeunes c’est le chômage »
« Comme afro-descendants ici en Colombie, nous sommes en lutte permanente contre le racisme » estime Juan Esteban Murillo, qui a fait ses premiers pas de manifestant en 2019, déjà contre le gouvernement de droite dure du président Ivan Duque. Près de deux ans après, cet étudiant en éducation physique de 21 ans est à nouveau dans les rues de Medellin (nord-ouest), drapeau colombien sur les épaules et mégaphone en main. Il dénonce la stigmatisation et la violence dont pâtissent les noirs.
Déplorant la « mauvaise qualité » de l’enseignement public, il critique aussi le fait que beaucoup d’étudiants comme lui doivent choisir « entre le ticket et le pain », entre payer le transport jusqu’à l’université et manger. « Le problème le plus grave pour les jeunes c’est le chômage, le manque d’opportunités », ajoute-t-il.
Juan Esteban se méfie de la police pour ses « attaques » contre des manifestants pacifiques et les « fouilles arbitraires » dont il est la cible du fait de sa couleur de peau.
Manifester pour répudier une police qui « écrase » et « viole »
« Je reste une rebelle. Je n’ai plus de fusil, mais j’ai cette machine », dit pour sa part Alexa Rochi, 30 ans, en montrant son appareil photo lors d’une manifestation à Bogota.
Cette ex-guérillera a passé plus d’une décennie dans les rangs des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) et y a découvert la photographie.
Alexa Rochi, 30 ans, ancienne membre de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), lors d’une manifestation à Bogota, le 12 mai 2021. © AFP
Avec l’accord de paix de 2016, elle a renoncé à la guerre, mais pas au combat. Féministe, elle travaille au Sénat et dans un collectif de femmes.
Elle lutte pour un pays nouveau « où penser différemment ne coûte pas la vie », où les femmes vivent « sans peur » et où les ex-guérilleros ne sont plus tués. « À ce jour, à presque cinq ans de la signature de l’accord, 272 signataires de la paix ont été assassinés », déplore-t-elle, en dénonçant aussi le fait que « l’éducation ici est un commerce, la santé est un commerce ».
Cheveux en bataille et piercing au sourcil, elle est en « première ligne » des manifestations pour répudier également une police qui « écrase » et « viole ». Depuis le début de la mobilisation, 16 plaintes pour agressions sexuelles par des agents des forces de l’ordre ont été déposées, selon le Défenseur du peuple, entité publique de protection des droits.
Contre la violence « aggravée » dans les territoires indigènes
Sa canne de garde indigène en main, Abner Mauricio Bisus scande « Résistance » parmi les manifestants à Cali (sud-ouest). À 27 ans, il est déjà une autorité dans sa communauté qu’il contribue à protéger.
Abner Bisus, jeune Indigène de 27 ans, participe à une manifestation contre le gouvernement du président colombien Ivan Duque, à Cali, en Colombie, le 12 mai 2021. © AFP
« Je proteste (…) contre la violence qui s’est aggravée, en particulier dans les territoires indigènes », explique ce jeune, qui porte autour du cou un foulard vert et rouge.
Depuis le départ des ex-Farc « sont arrivés d’autres acteurs armés qui se disent révolutionnaires, de gauche mais qui, en fin de compte, obéissent aux intérêts des narco-trafiquants », dit-il.
La crise sociale actuelle a mis en pleine lumière la ségrégation entre classes sociales et le racisme qui règnent dans des villes comme Cali, où des Amérindiens – 4,4 % de la population du pays – ont été agressés avec des armes à feu par d’autres civils. « Le gouvernement m’a laissé tomber (…), il s’est plus préoccupé de l’élite » de la société, déplore-t-il.
Avec AFP
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