« J’avais été déchu », mais aujourd’hui « je me sens réhabilité » : mardi 18 mai au soir, plusieurs officiers français en poste au Rwanda entre 1990 et 1994, qui y avaient dénoncé les « dérives » de la politique française au prix parfois de leur carrière, ont échangé à Paris avec le président rwandais. Cette rencontre informelle a réuni dans un hôtel parisien ces officiers français et celui-là même qui les combattait à l’époque, Paul Kagame, qui était alors à la tête de la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), en guerre contre le régime hutu soutenu par la France.
Etaient notamment présents le colonel René Galinié, 81 ans, attaché de défense à l’ambassade française de Kigali de 1988 à juillet 1991, le général Jean Varret, 86 ans, chef de la mission militaire de coopération de fin 1990 à 1993, Yannick Gérard, ambassadeur de France en Ouganda au début des années 1990 puis représentant du Quai d’Orsay au Rwanda dans le cadre de l’opération militaro-humanitaire française « Turquoise », et le général Eric de Stabenrath.
« Vous savez, monsieur le président, ça n’est vraiment pas une rencontre habituelle ! », a lancé à M. Kagame l’historien français Vincent Duclert, président de la commission qui a publié fin mars un rapport sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi en 1994, se réjouissant qu’il soit maintenant possible de « restaurer le passé d’une manière pacifique ». Cette rencontre est un nouveau signe d’un réchauffement sans précédent des relations diplomatiques, ces derniers mois, entre Paris et Kigali.
Anecdotes, souvenirs et regrets
Pendant plus de deux heures, dans une atmosphère tantôt chaleureuse ou solennelle, ces responsables et M. Kagame, qui s’est dit « honoré » de les revoir ou de les rencontrer, ont échangé avec émotion des anecdotes, se sont donné des nouvelles de connaissances communes de l’époque, ont replongé dans des souvenirs et regrets douloureux. Quatre journalistes français (dont l’AFP) ont pu assister à cette rencontre voulue par M. Kagame, présent à Paris pour un sommet sur la dette africaine.
Détendu et souvent souriant, Paul Kagame s’est adonné à de longs récits de souvenirs, s’exprimant en anglais. « Vous avez un peu changé ! », a-t-il lancé avec malice à Yannick Gérard, avec lequel un de ses derniers tête-à-tête remonte à « il y a vingt-huit ans » en Ouganda. « J’ai un souvenir assez précis des deux ou trois soirées que nous avons passées à l’ambassade de France à Kampala, où vous m’expliquiez les objectifs de votre mouvement », a raconté M. Gérard.
M. Kagame est aussi revenu sur les accrochages avec l’armée française au Rwanda et sur le souvenir encore vif du « ton menaçant » d’une lettre que lui avait envoyée le général Jean-Claude Lafourcade, qui commandait l’opération « Turquoise » en 1994. Ou encore son incompréhension, jusqu’à ce jour, sur les raisons de son arrestation musclée, en septembre 1991, en pleine nuit dans sa chambre hôtel à Paris, puis sa journée en détention, alors qu’il avait été invité officiellement en France en tant que chef d’une rébellion.
« Je me sens un peu restauré »
L’émotion a saisi l’assistance lorsque le général Varret a lu un texte. Il y raconte avoir rapidement découvert, au début de son affectation au Rwanda, un « risque de massacres ». « La mort annoncée de milliers de Rwandais m’effraie, je fais tout pour persuader l’entourage du président Mitterrand que notre politique au Rwanda n’est pas bonne. » Mais il s’aperçoit qu’on lui « retire [ses] prérogatives » : « C’est la première fois de ma carrière qu’on ne me fait pas confiance… Donc en 1993, je décide de me taire et je démissionne. »
« Actuellement, deux rapports [celui de Vincent Duclert et le récent rapport rwandais Muse] confirment que la politique française de cette époque était erronée. Cela m’a réhabilité, du moins à mes yeux. Après quarante ans de service, j’avais été déchu et je me sens un peu restauré », a souligné M. Varret.
Mêmes états d’âme douloureux chez le colonel Galinié, qui, dans son allocution, confie avoir « informé sans cesse les autorités françaises, l’état-major des armées […] que le danger était lourd et permanent », jusqu’à ce qu’il quitte son poste, en juillet 1991 : « J’ai proposé des remèdes possibles, à mon sens susceptibles d’éviter une catastrophe humaine qui, au moment de mon départ, m’a semblé absolument inéluctable… »
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