LETTRE DE LUCERNE
L’histoire date d’il y a pile deux ans. Une société de cosmétiques de Floride, Jeunesse Global, promet un voyage en Suisse à ses nombreux représentants chinois, à condition de se surpasser dans les ventes. Au bout de l’effort : six jours pour découvrir les clichés rutilants du pays alpin (chutes du Rhin, sommet glaciaire du Titlis) et un peu de temps pour une razzia shopping dans les villes de Lucerne, Bâle et Zurich.
La firme américaine escompte 3 000 lauréats, elle finit par devoir en expédier 12 000. Qu’elle divise en trois groupes, qui vont se succéder. Pendant dix-huit jours, des flottes entières d’autobus consternent l’Helvétie, où se multiplient les reportages étonnés : comment en est-on arrivé là ?
A Lucerne, le débarquement des représentants de Jeunesse Global en goguette accapare les esprits et fâche les citoyens. On ne peut plus se croiser dans les ruelles du cœur médiéval. Les arches du Kapellbrücke de 1333, le plus long pont couvert en bois d’Europe, couinent sous les assauts de groupes pressés qui manient la perche à selfies. La colère monte, les habitants reprochent à leurs autorités d’avoir échangé l’âme de leur ville contre les poches bien remplies des visiteurs asiatiques.
« Première division de l’enfer touristique mondial »
Il faut dire qu’avec 9,4 millions de visiteurs pour 81 000 habitants, en 2019, la ville enregistrait alors le ratio le plus élevé du continent, dépassant même Venise, Rome, Paris, Barcelone et Lisbonne dans le palmarès douteux des cités à la plus forte densité touristique.
« La satisfaction d’appartenir à la première division de l’enfer touristique mondial ne concerne qu’un petit groupe de commerçants du centre-ville qui vendent surtout des montres de luxe. Pour tous les autres, c’est une punition. Il faudrait trouver un moyen de calmer cette hystérie », dénonçait le parti des Verts de la ville en 2018 dans un communiqué.
Le Covid-19 a exaucé ses vœux au-delà de toutes ses espérances. Deux ans plus tard, Lucerne est désertée, au point qu’un quotidien suisse alémanique titrait récemment : « La ville ne sera peut-être plus jamais comme avant la pandémie. » A trop s’être adaptée à cette seule clientèle, par ailleurs fort dépensière, ceci explique cela, la cité au bord du mythique lac des Quatre-Cantons se retrouve désormais dans la pire situation de tous les lieux touristiques helvétiques ; ils ne manquent pourtant pas.
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